Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2962

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 417-418).
2962. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, 29 juillet.

Nous m’aviez mandé, mon cher philosophe, que l’infâme manuscrit en question était à Lausanne ; vous aviez bien raison, Grasset est venu de Lausanne me proposer de l’acheter pour cinquante louis ; et, pour me mettre en goût, il m’en a montré une feuille. Je n’ai jamais rien vu de plus plat et de plus horrible ; cela est fait par le laquais d’un athée. Mon indignation ne m’a pas permis de différer un moment à envoyer la feuille aux magistrats de Genève. On a mis sur-le-champ Grasset en prison ; il a dit qu’il tenait cette feuille d’un honnête homme, nonuné Mauhert[1], ci-devant capucin, et arrivé depuis peu à Lausanne. Ce capucin était apparemment l’aumônier de Mandrin. On l’a arrêté, on a visité ses papiers, on n’a rien trouvé ; mais on lui a dit que si l’ouvrage paraissait, en quelque lieu que ce fût, on s’en prendrait à lui. Le conseil de Genève ne pouvait me marquer ni plus de bonté, ni plus de justice. Grasset a été chassé de la ville, en sortant de prison. Il serait bon que M. Bousquet connût cet homme, qui est ici très-connu, et absolument décrié. J’ai cru devoir, mon cher philosophe, ces détails à votre amitié. Cette affaire et ma mauvaise santé reculent encore mon voyage de Monrion. Vous voyez quels chagrins viennent encore m’assiéger dans ma retraite. Il faut souffrir jusqu’à la fin de sa vie ; mais on souffre avec patience, quand on a des amis tels que vous.

Mme Denis et moi, nous présentons nos obéissances aux deux philosophes. Je vous embrasse tendrement.

Mme Goll est à Colmar dans une situation bien triste. Je vous embrasse. V.

  1. J.-H. Maubert, soi-disant chevalier de Gouvest, né à Rouen en 1721 ; capucin défroqué, officier d’artillerie, écrivain aux gâges des libraires. Voltaire lui impute les falsifications dont sont souillées les éditions de la Pucelle qui parurent à Francfort en 1755 et en 1756. Maubert, qui avait déjà écrit contre Voltaire (vojez tome XXIV, page 11), mourut à Altona le 21 novembre 1767. (Cl.)