Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3028

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 473-474).

3028. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, 26 septembre.

J’allais à Monrion, mon cher philosophe ; je venais vous embrasser, je jouissais par avance des consolations de votre commerce aussi sûr que délicieux ; j’étais déjà en route, j’avais couché à Prangins, lorsque Mme  de Giez m’apprend par un courrier le danger où est son mari. J’aime M. de Giez véritablement ; je lui ai confié une partie de mes affaires ; il m’a paru avoir toute la bonne foi de votre pays ; je serais inconsolable de sa perte. Il est dans ma maison avec toute sa famille ; je ne regrette point d’en être privé, s’il peut y retrouver sa santé ; je ne voudrais y être que pour lui donner mes secours ; mais je suis retombé dans mes maux ordinaires, et me voici malade auprès de Genève, tandis que tout mon petit bagage est auprès de Lausanne. La vie n’est qu’un contre-temps perpétuel ; heureuse encore, quand elle n’est qu’un contre-temps.

Vous avez dit recevoir, mon cher ami, un exemplaire de l’Orphelin de la Chine par la voie de M, Gallatin[1], directeur des postes de Genève, qui s’est chargé de vous le faire parvenir. Il est bien triste que cette maudite Pucelle paraisse, après trente ans, dans le monde, à côté d’ouvrages sérieux et pleins de morale : c’est un contraste qui afflige ma vieillesse.

Vous savez que, sur le réquisitoire du conseil de Genève, Bousquet a été obligé de donner l’original de ce Mémoire scandaleux et calomnieux de Grasset, qu’il avait répandu dans Lausanne. Le conseil de Genève vient de donner un décret de prise de corps contre Grasset. C’est là une réfutation assez authentique ; mais il est triste d’en avoir eu besoin.

Je me flatte que Bousquet sera assez sage pour ne plus se servir d’un pareil homme.

Adieu, jusqu’au moment où je pourrai enfin jouir de Monrion et de votre société. Adieu, mon cher philosophe ; Mme  Denis et moi nous présentons nos obéissances à celle qui fait la douceur de votre vie, et à qui vous le rendez si bien.

  1. La famille Gallatin (et non Galatin) est fort connue à Genève. Un de ses membres, J.-L. Gallatin, mort en 1783, fut, comme médecin, l’un des disciples les plus distingués de Tronchin.