Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3042

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 489-490).

3042. — À M. GAMOND LE FILS,
premier valet de chambre
de s. a. r. monseigneur le duc de lorraine, à bruxelle[1].
Aux Délices, près de Genève, 24 octobre 1755[2].

Je reçois, monsieur, votre lettre du 16 octobre ; je vous remercie des éclaircissements que vous voulez bien me donner : j’y suis d’autant plus sensible que, n’étant pas connu de vous, je ne devais pas m’attendre à cette attention. J’ai toujours ignoré, monsieur, de qui Jean Néaulme avait acheté les fragments informes d’une prétendue Histoire universelle qu’il a imprimée sous mon nom. Tout ce que je sais, c’est qu’il a fait une très-mauvaise action. Il m’écrivit, pour se disculper, qu’il avait acheté le manuscrit à Bruxelles d’une personne qui appartient à la maison où vous êtes. Il faut bien qu’il m’en ait imposé, puisqu’un nommé Roussel, qui débite en Hollande je ne sais quelle feuille satirique intitulée l’Èpilogueur ou le Glaneur, me proposa dans cette feuille de me vendre le même manuscrit cinquante louis. Il n’y avait pas moyen d’accepter un marché proposé si indécemment, surtout lorsque je savais qu’on avait tiré plusieurs copies de cet ouvrage qu’on voulait me vendre. Il me paraît, monsieur, que vous n’avez d’autre part à cette manœuvre indigne que la honte avec laquelle vous m’en informez aujourd’hui. Vous m’auriez rendu un très-bon service si vous aviez pu m’en avertir plus tôt. Le libraire Néaulme est inexcusable d’avoir donné sous mon nom une rapsodie si informe. J’ai dû m’élever, dans toutes les occasions, contre cet abus de la librairie, pour ma propre justification et pour l’intérêt de tous les gens de lettres. L’injustice de ceux qui m’ont accusé moi-même en France d’avoir favorisé la publication de cet ouvrage a été pour moi un nouveau sujet de chagrin et un nouveau motif de faire connaître la vérité ; et, puisqu’on abuse publiquement de mon nom, c’est au public que je dois m’en plaindre. On m’avertit que les libraires de Hollande continuent ce brigandage, et qu’ils ont imprimé encore sous mon nom la Pucelle d’Orléans. Tout ce que je puis faire, c’est de redoubler mes justes plaintes. Je suis persuadé, monsieur, que vous entrez dans ma peine, puisque vous m’écrivez sur un sujet si triste. Me serait-il permis, monsieur, de vous prier d’ajouter une bonté à l’attention que vous avez eue de m’écrire ? Ce serait de présenter, dans l’occasion, mes respects à Son Altesse monseigneur le prince Charles de Lorraine. J’ai eu l’honneur, autrefois, de lui faire ma cour à Lunéville. Leurs Majestés l’empereur son frère et l’impératrice m’ont daigné honorer quelquefois des marques de leur générosité. Ainsi je me flatte que Son Altesse royale ne trouverait pas mauvais que je prisse la liberté de l’assurer de ma vénération et de mon attachement pour sa personne. Je ne peux finir sans vous répéter combien je suis sensible au soin prévenant que vous avez pris. J’ai l’honneur, monsieur, d’être, avec les sentiments que je vous dois, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très-chrétien.

  1. Bibliothèque royale de Bruxelles, manuscrit 21575. Sur l’enveloppe, le cachet de Voltaire : d’azur à trois flammes d’or, surmonté d’une couronne comtale. L’envoi de la fin : « J’ai l’honneur, etc. », est de la main de Voltaire.
  2. Lisez 25 octobre.