Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3140

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 12-13).

3140. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 22 mars.

Mon cher ange, vous avez raison ; il vaudrait mieux faire des tragédies que des poëmes sur les Malheurs de Lisbonne et sur la Loi naturelle. Ces deux ouvrages sont donc imprimés à Paris, pleins de lacunes et de fautes ridicules, et on est exposé à la criaillerie. Mme de Fontaine a dû vous donner, il y a longtemps, le poëme sur la Loi naturelle. On lui a donné le titre de Religion naturelle[1], à la bonne heure ; mais il fallait l’imprimer plus correct. C’est une faible esquisse que je crayonnai pour le roi de Prusse, il y a près de trois[2] ans, précisément avant la brouillerie. La margrave de Baireuth en a donné des copies, et j’en suis fâché pour plus d’une raison. Que faire ? il faudra le publier, après y avoir mis sagement la dernière main. J’en fais autant de la jérémiade sur Lisbonne. C’est actuellement un poëme de deux cent cinquante vers. Il est raisonné, et je le crois très-raisonnable. Je suis fâché d’attaquer mon ami Pope, mais c’est en l’admirant. Je n’ai peur que d’être trop orthodoxe, parce que cela ne me sied pas ; mais la résignation à l’Être suprême sied toujours bien.

Encore une fois une tragédie vaudrait mieux ; mais le génie poétique est libre et commande ; il faut attendre l’inspiration. J’apprends qu’on a imprimé la Religion naturelle[3] à Mme la duchesse de Gotha, aussi bien que celle au roi de Prusse. Je me vois comme l’âne de Buridan[4].

  1. Colini dit par erreur, dans ses Mémoires, que ce titre fut le seul donné au poëme dont il s’agit, de l’aveu de Voltaire. (Cl.)
  2. Lisez : cinq.
  3. Voyez l’Avertissement sur ce poëme, tome IX.
  4. Voyez, tome IX, les vers 14-17 du chant XII de la Pucelle.