Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3244

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 117-119).

3244. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 10 octobre.

Souvenez-vous, mon héros, que, dans votre ambassade à Vienne, vous fûtes le premier qui assurâtes que l’union des maisons de France et d’Autriche était nécessaire, et que c’était un moyen infaillible de renfermer les Anglais dans leur île, les Hollandais dans leurs canaux, le duc de Savoie dans ses montagnes, et de tenir enfin la balance de l’Europe.

L’événement doit enfin vous justifier. C’est une belle époque pour un historien que cette union, si elle est durable.

Vovi ce que m’écrit une grande princesse[1], plus intéressée qu’une autre aux affaires présentes par son nom et par ses État : « La manière dont le roi de Prusse en use avec ses voisins exite l’indignation générale. Il n’y aura plus de sûreté depuis le Weser jusqu’à la mer Baltique. Le corps germanique a interêt que cette puissance soit très-réprimée. Un empereur sera, moins à craindre, car nous espérons que la France maintiendra toujours les droits des princes. »

On me mande de Vienne qu’on y est très-embarrassé ; apparemment qu’on ne compte pas trop sur la promptitude et l’affection des Russes.

Il ne m’appartient pas de fourrer mon nez dans toutes ces grandes affaires ; mais je pourrais bien vous certifier que l’homme[2] dont on se plaint n’a jamais été attaché à la France, et vous pourriez assurer Mme de Pompadour qu’en son particulier elle n’a pas sujet de se louer de lui. Je que l’impératrice a parlé, il y a un mois, avec beaucoup d’éloge de Mme de Pompadour[3] ; elle ne serait peut-être pas fâchée d en être instruite par vous, et, comme vous aimez à dire des choses agréables, vous ne manquerez peut-être pas cette occasion.

Si j’osais un moment parler de moi, je vous dirais que je n’ai jamais conçu comment on[4] avait de l’humeur contre moi de mes coquetteries avec le roi de Prusse. Si on savait qu’il m’a baisé un jour la main, toute maigre qu’elle est, pour me faire rester chez lui, on me pardonnerait de m’être on me pardonnerait de m’être laissé faire ; et si on savait que, cette année, on m’a offert carte blanche, on avouerait que je suis un philosophe guéri de ma passion.

J’ai, je vous l’avoue, la petite vanité de désirer que deux personnes[5] le sachent ; et ce n’est pas une vanité, mais une delicatesse de mon cœur, de désirer que ces deux personnes le sachent par vous. Qui connaît mieux que vous le temps et la manière de placer les choses ? Mais j’abuse de vos bontés et de votre patience. Agréez le tendre respect du Suisse.

Je vous demande pardon du mauvais bulletin de Cologne que je vous envoyai dernièrement ; on forge des nouvelles dans ce pays-là.

  1. Probablement la duchesse de Saxe-Gotha.
  2. Frédéric, que la cour de Versailles et quelques Parisiens comparaient alors à Mandrin ; voyez ci-après, page 127.
  3. Marie-Thérèse écrivit à Mme de Pompadour.
  4. Louis XV et la Pompadour
  5. Encore Louis XV et la Pompadour