Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3264

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 133-134).

3264. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 28 novembre.

Comment voulez-vous, mon cher ange, que je fasse des Zulime et des chevaleries, quand les calomnies de Paris viennent me glacer dans mes Alpes ? Cette infâme édition que La Beaumelle et d’Arnaud avaient, dit-on, faite de concert, n’a que trop de cours. Je vois les personnes à qui je suis le plus attaché, attaquées indignement sous mon nom. Mme de Pompadour y est outragée d’une manière infâme : et comment encore se justifier de ces horreurs ? comment écrire à Mme de Pompadour une lettre qui ferait rougir et celui qui l’écrirait et celle qui la recevrait ? On parle aussi de vers sanglants contre le roi de Prusse, que la même malignité m’impute[1]. Je vous avoue que je succombe sous tant de coups redoublés. Le corps ne s’en porte pas mieux, et l’esprit se flétrit par la douleur. S’il me restait quelque génie, pourrais-je mettre à travailler un temps qu’il faut employer continuellement à détruire l’imposture ? Je n’ai plus ni santé, ni consolation, ni espérance ; et je n’éprouve, au bout de ma carrière, que le repentir d’avoir consacré aux belles-lettres une vie qu’elles ont rendue malheureuse. Si je m’étais contenté de les aimer en secret, si j’avais toujours vécu avec vous, j’aurais été heureux ; mais je me suis livré au public, et je suis loin de vous : cela est horrible.

  1. Voyez la lettre 3256.