Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3273

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 141-142).

3273. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, près de Genève, 20 décembre.

Je suis honteux, monseigneur, d’importuner mon héros, qui a bien autre chose à faire qu’à lire mes lettres ; mais je ne demande qu’un mot de réponse pour le fatras ci-dessous.

1° Un Anglais vint chez moi, ces jours passés, se lamenter du sort de l’amiral Byng, dont il est ami. Je lui dis que vous m’aviez fait l’honneur de me mander que ce marin n’était point dans son tort, et qu’il avait fait ce qu’il avait pu. Il me répondit que ce seul mot de vous pourrait le justifier[1] ; que vous aviez fait la fortune de Blakeney par l’estime dont vous l’avez publiquement honoré ; et que, si je voulais transcrire les paroles favorables que vous m’avez écrites pour Byng il les enverrait en Angleterre. Je vous en demande la permission ; je ne veux et je ne dois rien faire sans votre aveu. Voilà pour le vainqueur de Mahon.

2° Voici une autre requête pour le premier gentilhomme de la chambre : c’est qu’il ait la bonté d’ordonner qu’on joue Rome sauvée à la cour cet hiver, sous sa dictature. La Noue quitte à Pâques, et M.  d’Argental prétend que cette faveur de votre part est de la dernière importance.

Ce tendre d’Argental me mande qu’il a poussé bien plus loin ses sollicitations[2] ; mais ce serait étrangement abuser de vos bontés, qu’il ne faut certainement pas hasarder en ce temps-ci.

J’apprends que La Beaumelle, avant de faire pénitence, avait apporté une édition de la Pucelle, où il a fourré un millier de vers de sa façon ; qu’on la vend publiquement, qu’elle est remplie d’atrocités contre les personnes les plus respectables, et que c’est l’ouvrage le plus criminel qu’on ait jamais fait en aucune langue. On donne cette horreur sous mon nom. Elle est si maladroite qu’il y a dans l’ouvrage deux endroits assez piquants contre moi-même. Il y a bien des choses dignes des halles, mais il suffira d’un dévot pour m’attribuer cette infamie. Je crois que c’est un torrent qu’il faut laisser passer. La vérité perce à la longue, mais il faut du temps et de la patience. Vous en avez beaucoup de lire mes lettres au milieu de vos occupations. Votre nouvel hôtel, la Guienne, l’année d’exercice ! vous ne devez pas avoir du temps de reste. J’en abuse ; je vous en demande pardon. J’ose attendre deux petits mots. Je vous renouvelle mon tendre respect, et Mme  Denis se joint à moi.

  1. Voyez tome XV, page 340.
  2. Relativement au retour de Voltaire à Paris.