Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3283

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 150-151).

3283. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, près de Genève, 3 janvier 1757.

L’humanité et moi, nous vous remercions de votre lettre. J’en ai donné copie selon vos ordres, monseigneur. Si elle ne fait pas beaucoup de bien à l’amiral Byng, elle vous fera au moins beaucoup d’honneur ; mais je ne doute pas qu’un témoignage comme le vôtre ne soit d’un très-grand poids. Vous avez contribué à faire Blakeney pair d’Angleterre ; vous sauverez l’honneur et la vie à l’amiral Byng.

Le Mémoire de l’envoyé de Saxe, présenté aux États-Généraux, et qui est une réponse au Mémoire justificatif du roi de Prusse, fait partout la plus vive impression. Je n’ai guère vu de pièce plus forte et mieux écrite. Si les raisons décidaient du sort des États, le roi de Pologne serait vengé ; mais ce sont les fusils et la marche redoublée qui jugent les causes des souverains et des nations.

Les Prussiens ont quitté Leipsick ; ils sont en Lusace, où l’on se bat au milieu des neiges. On me mande de Vienne qu’on y a une crainte de ces Prussiens, très-indécente. Je voudrais vous voir conduire contre eux gaiement des Français de bonne volonté, et voir ce que peut sous vos ordres la furia francese contre le pas de mesure et la grave discipline ; mais je craindrais que quelque balle vandale n’allât déranger l’estomac du plus aimable homme de l’Europe.

Je vous écris, monseigneur, dès que j’ai quelque chose à vous mander. Alors mon cœur et ma plume vont vite. Mais quand je ne vois que mes arbres et mes paperasses, que voulez-vous que le Suisse vous mande ? Mes paroles oiseuses auraient-elles beau jeu au milieu de toutes vos occupations, de tous vos devoirs, des tracasseries parlementaires et épiscopales, et de la crise de l’Europe ? Vous voilà-t-il pas bien amusé, quand je vous souhaiterai cinquante années heureuses, quand je vous dirai que la Suissesse Denis et le Suisse Voltaire vous adorent ? Vous avez bien affaire de nos sornettes ! Conservez-moi vos bontés, et agréez mon très-tendre respect.