Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3309

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 170-171).

3309. — À M. TRONCHIN, DE LYON[1].
Monrion, 6 février.

Celui qui a écrit une lettre chrétienne à un cardinal chrétien a une âme héroïque et sage, qui distingue la religion de ses abus. Cela est d’autant plus beau que ces abus ont été sur le point de lui coûter la vie, et ont assassiné ses prédécesseurs,

La lettre touchante que j’ai reçue du roi de Prusse, et l’invitation que l’impératrice me fait d’aller à Pétersbourg, ne me feront pas quitter les Délices. Je n’ai nulle envie d’aller à Paris, où l’on est complètement fou.

Je ne crois point vous avoir dit combien la catastrophe de M. d’Argenson[2] m’a pénétré ; le bonhomme Lusignan a été quelques jours malade. Ce pauvre M. d’Argenson avait servi le roi quarante ans ; il va mourir dans l’exil, et, sans l’aumône de foin que lui fait son neveu, il mourrait dans la misère. De pareils événements doivent affermir dans l’amour de la philosophie et de la liberté.

Mes raisons pour croire que l’Espagne joindrait ses flottes à celles de France contre les Anglais (supposé qu’elle ait des flottes) étaient fondées sur la convenance des temps, sur les affronts que les Anglais ont faits à la dignité de la couronne d’Espagne, sur l’indignation où cette cour est toujours de voir le port de Gibraltar entre des mains étrangères, sur les nouvelles démarches de la cour de France, sur le crédit que l’ambassadeur d’Espagne à Paris a eu de faire mettre à la Bastille je ne sais quel écrivain qui avait reproché aux Espagnols leur tiédeur dans une occasion si pressante. Je me suis trompé. Il faut que la cour de Madrid ait peu de vaisseaux, peu de matelots, et peu d’argent.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Renvoyé du ministère.