Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3323

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 180).

3323. — À M.  PIERRE ROUSSEAU,
à liège.
À Monrion, près de Lausanne, 24 février.

C’est pour la quatrième fois que j’écris aux frères Cramer, libraires, pour leur recommander de vous envoyer l’Essai sur l’Histoire générale depuis Charlemagne jusqu’à 1756. Je suis en droit d’attendre cette attention de ceux à qui j’ai fait présent de mon ouvrage. L’aîné Cramer est à présent en Hollande, et doit sans doute vous faire parvenir cette histoire. Ce sont ces frères Cramer qui m’ont déterminé à m’établir où je suis. Ils voulaient imprimer mes ouvrages, il fallait que je veillasse à l’impression ; la besogne a duré près de deux ans. J’ai des amis dans ce pays-ci. J’y ai trouvé des situations plus agréables que Meudon et Saint-Cloud, des maisons commodes ; je me suis établi, pour l’hiver, auprès de Lausanne, et, pour les autres saisons, auprès de Genève. Mais ce que j’ai trouvé de plus commode parmi ces calvinistes, très-différents de leurs ancêtres, c’est que j’ai fait imprimer à Genève, avec l’approbation universelle[1], que Calvin était un très-méchant homme, altier, dur, vindicatif et sanguinaire. C’est ce que vous verrez dans cette Histoire générale. Genève est peut-être à présent la ville de l’Europe où il y a le plus de philosophes. Je suis très-fâché que cette Histoire générale ne soit pas encore parvenue jusqu’à vous.

À l’égard de ce Portefeuille trouvé[2], c’est une rapsodie qu’un libraire affamé, nommé Duchesne, vend à Paris sous mon nom : c’est un nouveau brigandage de la librairie. On me mande que les trois quarts de ce recueil sont composés de pièces auxquelles je n’ai nulle part, et que le reste est pillé des éditions de mes ouvrages, et entièrement défiguré.

Il n’y a pas grand mal à tout cela, et je pardonne aux misérables à qui mon nom vaut quelque argent.

  1. Voyez la lettre à Thieriot, du 26 mars.
  2. Voyez la note, tome VI, page 337.