Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3411

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 259-260).

3411. — À M. THIERIOT.
Aux Délices.

Je suis vir desideriorum : premièrement, parce que te desidero in Deliciis meis ; secondement, parce que desidero les paperasses de Hubert[1]. M. de La Popelinière m’a flatté que le compère compilait.

Je vous prie, mon ancien ami, de bien remercier Pollionem de ses faveurs ; et je vous avertis que si vous n’avez pas la bonté de hâter un peu votre besogne moscovite, ma maison russe sera bâtie avant que vous m’ayez envoyé votre brique. J’ai reçu de Pétersbourg des cartes et des plans qui m’étonnent. Le pays n’a que cinquante ans de création, et la magnificence égale déjà l’étendue de l’empire,

Pierre était un ivrogne, un brutal parfois : je le sais bien ; mais les Romulus et les Thésée ne sont que de petits garçons devant lui. Vous en voyez les effets. Elisabeth expédie, le même matin, des ordres pour les frontières de la Chine, et pour envoyer cent mille hommes contre mon disciple Frédéric, roi de Prusse. Ce sont là ces soldats qui n’avaient que des bâtons brûlés par le bout à Narva, qui ont ensuite vaincu Charles XII, qui ont fait fuir les janissaires, et fait passer les Suédois sous les fourches caudines. Joignez à ces miracles un opéra italien, une comédie, des sciences, et vous verrez que le sujet est beau.

Je suis fâché de la mort de Mme de Rochester-Sandwich. C’est une bonne tête qui est rongée de vers. La cervelle de Newton et celle d’un capucin sont de même nature ; cela est bien cruel, mais qu’y faire ?


Ipse Epicurus obit decurso lumine vitæ[2].


Si j’avais eu de la santé, et point de nièce, j’aurais pu faire un petit tour avec le vainqueur de Mahon ; mais je ne quitte plus ce que j’aime pour des héros.

On ne croit pas que mon disciple puisse résister ; il faudra qu’il meure à la romaine, ou qu’il s’en console à la grecque ; qu’il se tue, ou qu’il soit philosophe. Voilà un grand exemple ; mais nous n’en sommes encore qu’aux premiers actes de la pièce : il faut voir le dénoûment. Il arrive toujours dans les affaires quelque chose à quoi on ne s’attend point.

Intérim, vale ; et mémento de l’abbé Hubert et du Suisse V.

  1. On lit Hubert dans la première impression de cette lettre, à la page 362 des Pièces inédites, 1820, in-8°. Dans la lettre à Thieriot, du 12 septembre (voyez n° 3415), imprimée dans les éditions de Kehl, on lit aussi Hubert, et on donne à ce personnage le titre d’abbé. Cet auteur, dont Voltaire désirait les écrits, ne peut être celui qu’il appelle Hébert dans ses lettres 3186 et 3187, et des mémoires duquel il parle comme les connaissant déjà.
  2. Lucrèce, livre III, vers 1055.