Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3438

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 287-289).

3438. — À M. THIERIOT.
Au Chêne, 26 octobre.

Je vous envoie, mon cher ami, la réponse que je devais à M. d’Héguerty[1] : elle a traîné quelques jours sur mon bureau. Si vous le voyez, je vous prie de lui dire combien je suis satisfait de son ouvrage et reconnaissant de son présent.

J’aime le commerce pour le bien public, car, pour le mien, je ne devrais pas trop l’aimer. Je m’étais avisé, il y a quelques années, de mettre une partie de mon avoir entre les mains des commerçants de Cadix. Je trouvais qu’il était beau de recevoir des lettres de la Vera-Cruz et de Lima. Messieurs de Gades et des Colonnes d’Hercule peuvent y avoir gagné ; et j’y ai beaucoup perdu. Je n’en suis pas moins persuadé que le commerce est l’âme d’un État. C’est ainsi que j’aime les beaux-arts et que je les crois toujours utiles, malgré tout le mal que l’envie attachée aux arts m’a pu faire. Dites-moi, je vous prie, à propos de ces arts que tant de coquins déshonorent, s’il est vrai que le misérable La Beaumelle soit sorti[2] de sa Bastille en même temps que votre archevêque est revenu de Conflans, et l’abbé Chauvelin de son exil. Puisque le roi est en train de donner la paix à ses sujets, j’espère qu’il la donnera à l’Europe. Si, dans les circonstances présentes, il en est le pacificateur, il jouera un plus beau rôle que Louis XIV.

Vous ne m’avez point parlé de Mme de Sandwich ; ne vous a-t-elle pas laissé par son testament quelque marque de son souvenir ? Qu’est devenu le diamant que vous avait laissé cette pauvre Mme de La Popelinière ? Ètes-vous encore puni de vous être attaché à elle ?

Je n’ai rien reçu encore de Pétersbourg.


· · · · · · · · · · · · · · · Pendent opéra interrupta, minæque
Murorum ingéntes · · · · · · · · · · · · · · ·

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(Virg., Æn., liv. IV, v. 88.)

J’ai grand’peur que l’hydropisie d’Elisabeth ne nuise à l’Histoire de Pierre. Ce qui se passe à présent mérite un petit morceau curieux. Il fournira, si je vis, un ou deux chapitres à l’Histoire générale que vous aimez. Il ne sera pas inutile de faire voir comment le pays sablonneux de Brandebourg avait formé une puissance contre laquelle il a fallu de plus grands efforts qu’on n’en a jamais fait contre Louis XIV. J’ai sur ces événements des anecdotes uniques ; mais c’est à présent le temps de se taire.

Quant à cette pauvre Jeanne, je vous réitère que personne ne connaît la véritable. Si jamais vous venez sur les bords de mon lac, nous la lirons au pied de la statue de messer Ludovico Ariosto. Intérim, vale. Sed quid novi ?

  1. Ce négociant, qui avait fait paraître, en 1754, un Essai sur les intérêts du commerce maritime, venait de publier (1757, deux volumes in-12) des Remarques sur plusieurs branches de commerce et de navigation, et il avait envoyé cet ouvrage à Voltaire.
  2. Oui. le 1er septembre 1757.