Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3457

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 302-303).

3457. — À M.  THIERIOT.
Aux Délices, 20 novembre.

Je vois par vos lettres, mon ancien ami, que la rivière d’Ain en a englouti une vers le temps de la mort de Mme  de Sandwich : car je n’ai jamais reçu celle par laquelle vous me parliez de la mort et du testament de cette philosophe anglaise, de votre pension remise, etc. Je vous répète qu’il se noya dans ce temps-là un courrier, et que jamais on n’a retrouvé sa malle.

Je crois qu’on serait moins affligé à Paris et à Versailles si les courriers qui ont apporté la nouvelle de la dernière bataille s’étaient noyés en chemin. Je n’ai point encore de détails, mais on dit le désastre fort grand, et la terreur plus grande encore. Le roi de Prusse se croyait perdu, anéanti sans ressource, quinze jours auparavant, et le voilà triomphant aujourd’hui : c’est un de ces événements qui doivent confondre toute la politique. La postérité s’étonnera toujours qu’un électeur de Brandebourg, après une grande bataille perdue contre les Autrichiens, après la ruine totale de ses alliés, poursuivi en Prusse par cent mille Russes vainqueurs, resserré par deux armées françaises qui pouvaient tomber sur lui à la fois, ait pu résister à tout, conserver ses conquêtes, et gagner une des plus mémorables batailles qu’on ait données dans ce siècle. Je vous réponds qu’il va substituer les épigrammes aux épîtres chagrines. Il ne fait pas bon à présent pour les Français dans les pays étrangers. On nous rit au nez, comme si nous avions été les aides de camp de M.  de Soubise. Que faire ? Ce n’est pas ma faute. Je suis un pauvre philosophe qui n’y prends ni n’y mets ; et cela ne m’empêchera pas de passer mon hiver à Lausanne, dans une maison charmante, où il faudra bien que ceux qui se moquent de nous viennent dîner.


Tros Rutulusve fuat, nuUo discrimine habebo.

(Æn., X, v. 108.)

Ce qui me console, c’est que nous avons pris dans la Méditerranée un vaisseau anglais chargé de tapis de Turquie, et que j’en aurai à fort bon compte. Cela tient les pieds chauds, et il est doux de voir de sa chambre vingt lieues de pays, et de n’avoir pas froid. S’il y a quelque chose de nouveau à Paris, mandez-le-moi, je vous en prie ; mais vous n’écrivez que par boutades. Ayez vite la boutade d’écrire à votre ancien ami, qui vous aime.