Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3493

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 332-333).

3493. — DE MADAME D’ÉPINAI À M. GRIMM[1].

J’ai encore passé une journée chez Voltaire. J’ai été reçue avec des égards, des respects, des attentions que je suis portée à croire que je mérite, mais auxquels cependant je ne suis guère accoutumée. Il m’a fort demandé de vos nouvelles, de celles de Diderot et de tous nos amis. Il s’est mis en quatre pour être aimable ; il ne lui est pas difficile d’y réussir. Malgré cela, à vue de pays, j’aimerais mieux vivre habituellement avec M. Diderot, qui, par parenthèse, n’est pas vu ici comme il le mérite. Croiriez-vous qu’on ne parle que de d’Alembert, lorsqu’il est question de l’Encyclopédie ? J’ai dit ce qui en était et ce que j’ai dû dire. Je n’ai dit que la vérité ; mais si j’eusse menti, je serais crue de même : quand je parle, il y a autant d’yeux et de bouches ouvertes que d’oreilles ; cela est bien nouveau et me fait rire.

La nièce de Voltaire est à mourir de rire : c’est une petite grosse femme, toute ronde, d’environ cinquante ans, femme comme on ne l’est point, laide et bonne, menteuse sans le vouloir et sans méchanceté ; n’ayant pas d’esprit et en paraissant avoir ; criant, décidant, politiquant, versifiant, raisonnant, déraisonnant ; et tout cela sans trop de prétentions, et surtout sans choquer personne ; ayant par-dessus tout un petit vernis d’amour masculin, qui perce à travers la retenue qu’elle s’est imposée. Elle adore son oncle en tant qu’oncle et en tant qu’homme ; Voltaire la chérit, s’en moque et la révère : en un mot, cette maison est le refuge et l’assemblage des contraires, et un spectacle charmant pour les spectateurs…

  1. Mémoires et Correspondances de Mme d’Épinai. Paris, Charpentier, 1865 ; 2. vol. in-18.