Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3522

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 363-364).

3522. — À M. DIDEROT.

Est-il bien vrai, monsieur, que tandis que vous rendez service au genre humain, et que vous l’éclairez, ceux qui se croient nés pour l’aveugler aient la permission de faire un libelle périodique[1] contre vous et contre ceux qui pensent comme vous ? Quoi ! on permet aux Garasses d’insulter les Varrons et les Plines !

Quelques ministres de Genève ont eu la rage, en dernier lieu, de vouloir justifier l’assassinat juridique de Servet : le magistrat leur a imposé silence ; les plus sages ministres ont rougi pour leurs confrères bafoués ; et il sera permis à je ne sais quels pédants jésuites d’insulter leurs maîtres !

N’êtes-vous pas tenté de déclarer que vous suspendrez l’Encydopédie jusqu’à ce qu’on vous ait fait justice ? Les Guignards ont été pendus, et les nouveaux Garasses devraient être mis au pilori. Mandez-moi, je vous prie, les noms de ces malheureux. Je les traiterai selon leur mérite dans la nouvelle édition qui se prépare de l’Histoire générale. Que je vous plains de ne pas faire l’Encyclopédie dans un pays libre ! Faut-il que ce dictionnaire, cent fois plus utile que celui de Bayle, soit gêné par la superstition, qu’il devrait anéantir ; qu’on ménage encore des coquins qui ne ménagent rien ; que les ennemis de la raison, les persécuteurs des philosophes, les assassins de nos rois, osent encore parler dans un siècle tel que le nôtre !

On dit que ces monstres veulent faire les plaisants, et qu’ils prétendent venger la religion, qu’on n’attaque point, par des libelles diffamatoires, qui devraient servir à allumer les bûchers de leurs sodomites prêtres, si on n’avait pas autant d’indulgence qu’ils ont de fureur.

Votre admirateur et votre partisan jusqu’au tombeau.


Le Suisse libre.

  1. La Religion vengée, etc. ; voyez la lettre 3293.