Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3632

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 468-469).

3632. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Schwetzingen, 16 juillet.

Madame, je n’arrive que dans ce moment à Schwetzingen, maison de plaisance de monseigneur l’électeur palatin, ayant été assez longtemps malade en chemin. Je trouve la lettre du 4 juillet dont m’honore Votre Altesse sérénissime.

Je commence par lui souhaiter d’abord, et à toute son auguste famille, une neutralité tranquille, qui la mette à l’abri des dévastations cruelles que l’Allemagne éprouve. Je ne vois partout que des malheurs, et Dieu sait quand ils finiront. Les misères publiques sont cimentées de sang, et tous les partis ont des larmes à répandre. J’ose assurer monseigneur le duc que c’est un coup de hasard que j’aie trouvé M. La Bat, après avoir frappé en vain à trente portes. Je pense, madame, qu’il en coûtera moins à Vos Altesses sérénissimes en traitant par un de vos ministres avec ce Genevois que si vous aviez emprunté à Berne, et que tout sera plus prompt et plus facile : car Berne ne prête aux princes qu’avec la garantie de leurs États, ce qui entraîne toujours des lenteurs et des frais, et j’imagine que La Bat fera toucher de l’argent sur une simple lettre d’un de vos ministres. Cette insolence que j’ai eue, madame, de me faire caution, est entre La Bat et moi. Mais cela n’exige assurément aucun billet de la part de Vos Altesses sérénissimes ; La Bat n’a pas l’honneur de les connaître : c’est un négociant chargé de famille, qui veut prendre ses sûretés. Mais moi, madame, je vous suis attaché depuis longtemps. Je connais votre cœur et votre manière de penser généreuse ; la bonté de votre belle âme ne voudra pas m’offenser par un billet. Les sentiments dont elle daigne m’honorer sont le meilleur des billets.

Je me flatte que sa santé est actuellement meilleure. Je crains bien que les désastres publics ne l’aient altérée. Prions Dieu qu’il rende bientôt à l’Allemagne la paix dont elle a besoin. On s’attend encore à des batailles de tous côtés. S’il y avait quelque nouvelle favorable au genre humain, j’aurais l’honneur de la mander ; mais on ne doit s’attendre qu’à du carnage. Que dit à tout cela la grande maîtresse des cœurs ? Je crois qu’elle gémit ; autant en fait le bon Suisse V., qui se met aux pieds de Vos Altesses sérénissimes avec le plus profond respect. V.

P. S. Si jamais Vos Altesses sérénissimes avaient quelque chose à faire dire au ministre des affaires étrangères en France, je les supplie de me charger de leurs ordres, en cas qu’elles n’aient point de ministre à Paris. Je m’en acquitterai avec le zèle qu’elles me connaissent. M. l’abbé de Bernis, qui m’honore de ses bontés, est un des plus aimables hommes de l’Europe.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.