Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3679

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 518-519).

3679. — À MADAMR LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 17 octobre.

Madame, à la réception de la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honore, j’écris encore au Genevois La Bat, et je lui dis que ce n’est pas assez d’être baron, qu’il faut encore être poli. Quand on a fait signer à un grand prince un reçu d’argent comptant, il est juste, à ce qu’il me semble, que cet argent soit touché. Je ne m’entends guère, madame, à ces négociations genevoises ; mais je soupçonne que le seigneur baron La Bat aura demandé que Vos Altesses sérénissimes eussent à compter du jour qu’il aura envoyé ses lettres de change. Apparemment les banquiers ne les ont pas négociées assez tôt, et le ministre de Vos Altesses sérénissimes les a pressés sans doute de finir. Sérieusement, madame, il est très-ridicule qu’elle ait été si négligemment servie ; ses ordres doivent être exécutés avec plus de promptitude. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour communiquer à mon baron toute mon envie de vous plaire. Ah ! madame, s’il avait fait comme moi un séjour à Gotha, s’il avait eu le bonheur de s’approcher de madame la duchesse, il serait certainement plus diligent, il regarderait comme un crime de faire attendre un moment Vos Altesses sérénissimes.

Dieu veuille que ces cinquante mille florins ne soient pas pris par des housards ! Nous sommes dans un temps où la moitié du monde tue son prochain, et où l’autre le pille. Votre Laudon-[2], madame, qui dit que Dieu punit les hommes, est donc un des instruments de la justice divine ? La punition est un peu longue, et n’a pas l’air de finir sitôt. S’il y a cinq justes en faveur de qui on puisse pardonner, ces cinq justes sont dans le château d’Ernest le Pieux. Je suis au désespoir qu’Altemhourg soit dans le chemin des méchants ; quand ce chemin sera-t-il libre ? Quand pourrai-je y venir faire ma cour à Vos Altesses sérénissimes ? Ce serait une belle occasion dans ma vieillesse, et la plus chère de mes consolations, de pouvoir renouveler à Vos Altesses sérénissimes mon profond respect et mon tendre attachement : c’est ce que demande à Dieu le Suisse V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Célèbre général autrichien.