Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3714

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 546-548).

3714. — BAIL À VIE DE LA TERRE DE TOURNAY[1].

L’an mil sept cent cinquante-huit, et le onze décembre après midi, pardevant le notaire royal au bailliage de Gex, soussigné ; et en présence des témoins ci-après nommés, fut présent haut et puissant seigneur messire Charles de Brosses, baron de Montfalcon, président à mortier au parlement de Bourgogne, demeurant à Dijon, lequel a par ces présentes remis à titre de bail à vie, avec promesses de faire jouir, à commencer le vingt-deuxième février prochain, à messire François-Marie Arouet de Voltaire, chevalier, genlilhomme ordinaire de la chambre du roi, demeurant aux Délices-sur-Saint-Jean, ici présent et acceptant ; assavoir le château, terre et seigneurie de Tournay, granges, écuries, prés, terres, vignes hautes et basses, bois, la forêt, droits seigneuriaux honorifiques, la dime en dépendant, les censives et droits seigneuriaux dus et relevant du château de Tournay, auquel effet le terrier dudit Tournay lui sera remis ledit jour pour les exiger ; pour être par lui rendu à l’expiration de sa jouissance, le troupeau de vaches tel qu’il a été remis au fermier actuel, pour en rendre pareil nombre et valeur suivant l’estimation qui en sera faite par experts ; tous les meubles et effets d’agriculture et futailles ; comme encore tous les meubles meublants qui sont dans le château ; toutes lesquelles choses seront remises ledit jour vingt-deux février prochain audit sieur preneur, qui s’en chargera sur un état et inventaire à double, dans lequel sera spécifiée la quantité de foin et de paille qui se trouveront dans les granges, et aussi la quantité de terres ensemencées, pour être rendu par ledit sieur preneur à la fin de sa jouissance au même état, auquel temps tous les meubles et effets qui se trouveront dans lesdits bâtiments sans exception appartiendront audit seigneur de Brosses en propriété.

M.  de Voltaire aura la faculté de faire dans les bâtiments et fonds les changements qui lui conviendront, au moyen de quoi il restera chargé de toutes réparations, tant dans lesdits bâtiments que dans les fonds, et de rendre le tout en bon état. M.  de Voltaire aura la pleine jouissance de la forêt de Tournay, et des bois qui sont sur pied et non vendus, de laquelle il usera en bon père de famille sans la détruire ; c’est-à-dire en y laissant par chaque pose, l’une portant l’autre, soixante arbres de ceux qui sont sur pied, et elle sera mise en défense pour croître en taillis.

Ce bail fait moyennant la somme de trente-cinq mille livres, qui ont été payées présentement par ledit sieur preneur, en lettres de change sur Lyon, payables la moitié en payement des Saints, et l’autre moitié en payement des Rois, dont ledit seigneur de Brosses tient quitte ledit sieur preneur.

Et en outre M.  de Voltaire promet et s’oblige de faire dans lesdits bâtiments, granges, fossés, jardins, écuries, en constructions, grosses réparations et améliorations de toute espèce, avenues, chemins, haies autres que celles d’entretien ordinaire, pendant le cours de sa jouissance, soit pour l’utilité, soit pour l’agrément, jusques à concurrence de la somme de douze mille livres, comme faisant ladite somme partie du prix du présent bail, suivant la reconnaissance et estimation par experts, relativement aux livres de dépense dudit sieur preneur, et ledit emploi des douze mille livres ne sera point exigible si ledit sieur preneur venait à décéder dans les trois premières années, et sans répétition néanmoins de ce qui se trouvera fait.

Ledit seigneur de Brosses s’engage à ne faire couper aucun arbre dans ladite forêt, à la réserve de huit chênes vendus à un tonnelier de Genève, qui sont encore sur pied, et ce à compter de ce jour.

Le revenu annuel de ladite terre ayant été estimé être de la somme de trois mille cinq cents livres. Tout ce que dessus ainsi convenu entre lesdites parties, qui ont promis l’exécuter respectivement, à peine de tous dépens, dommages et intérêts, obligation de biens.

Fait, lu et prononcé au château de Ferney, en présence de Bernard et Jacques Brillon frères, laboureurs, demeurant audit Ferney, témoins qui ont signé avec les parties, et moi dit notaire.

Signé sur la minute : Brosses, de Voltaire, Jacques Brillon, Bernard Brillon, et Girod, notaire.

Contrôlé à Gex, le quinzième décembre 1738 ; reçu quatre-vingt-six livres huit sols. Signé : Rods.

Par expédition audit seigneur de Brosses,


Girod.

Marc Duval, conseiller du roi, lieutenant général au bailliage de Gex, certifions que M.  Girod, qui a reçu, expédié et signé l’acte ci-devant, est notaire royal en ce bailliage, et que foi doit y être ajoutée en jugement et dehors. En témoin, nous avons donné les présentes sous le sceau de ce bailliage, de nous signées à Gex, en notre hôtel, ce six juin mil sept cent soixante-dix-huit.


Duval.

  1. Éditeur, Th. Foisset.