Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3904
Ma douleur, madame, est encore plus forte que ma maladie ; il faut que mon état me permette au moins de dicter mes sentiments, si je ne peux les écrire moi-même. Je partage toute votre inquiétude ; vous avez sans doute dépêché un exprès pour vous informer du sort de monsieur votre fils. J’ai été saisi à la nouvelle de cette abominable journée[1]. S’il est vrai que M. de Contades[2] ait exposé son armée à une batterie de quatre-vingts canons, comme on le dit, cela ne peut ni se comprendre ni être assez déploré. Une faute de jugement fait donc le deuil et la ruine de la France ! Vos chagrins dans ce moment occupent toute mon âme ; si vous avez un moment à vous, je vous demande en grâce d’envoyer chercher Colini, et de m’instruire par lui de l’état de votre fils et du vôtre.
Adieu, madame ; ceux qui disent que tout est bien sont des fanatiques bien haïssables. Ce que je souffre de corps et d’esprit m’empêche de vous en dire davantage ; mais je n’en suis pas moins sensible à tout ce qui vous touche, et personne ne vous est attaché, madame, avec un plus tendre respect que moi.