Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3913

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 157-158).

3913. — À M.  D’ALEMBERT.
Aux Délices, 25 août.

Connaissez-vous, mon cher philosophe, un Siméon La Vallette, ou Siméon Valette[1], ou Simon Valet, lequel fait des lignes courbes et de petits vers ? Il se renomme de vous ; mais j’ai perdu sa lettre. Je ne sais où le prendre ; où est-il ? et quel homme est-ce ?

Que dites-vous de Maupertuis, mort entre deux capucins ? Il était malade depuis longtemps d’une réplétion d’orgueil ; mais je ne le croyais ni hypocrite ni imbécile. Je ne vous conseille pas d’aller jamais remplir sa place à Berlin : vous vous en repentiriez. Je suis Astolphe qui avertit Roger de ne pas se fier à l’enchanteresse Alcine ; mais Roger ne le crut pas.

Votre livre[2] est charmant ; il fait mes délices, au point que je vous pardonne d’avoir vu des prêtres à Genève. Je mène tous ces faquins-là assez bon train. J’ai un château à la porte duquel il y a quatre jésuites ; ils m’ont abandonné frère Berthier ; je leur fais de petits plaisirs, et ils me disent la messe quand je veux bien l’entendre. Mes curés reçoivent mes ordres, et les prédicants genevois n’osent pas me regarder en face. Je brave M. Catbrée[3] autant que je le méprise, et je plains Diderot d’être à Paris.

Toutes les lettres de Vienne disent le marquis de Brandebourg[4] écrasé ; quelques lettres de Saxe le disent vainqueur, et je ne crois ni l’un ni l’autre. Vous savez qu’il faut peu croire ; soyez pourtant certain que l’oncle et la nièce vous aiment de tout leur cœur. Point de philosophie sans amitié.

  1. Qui inspira à Voltaire l’idée du Pauvre Diable ; voyez cette satire, tome X.
  2. L’article Genève de l’Encyclopédie et la Lettre (de d’Alembert) à M.  Rousseau, citoyen de Genève, en réponse à la sienne, font partie du tome II de l’édition de 1759 des Mélanges de littérature, etc.
  3. Nommé deux fois dans la préface de Socrate, tome V.
  4. Le roi de Prusse. Ses armées avaient été battues le 23 juillet à Crossen ; le 12 août, près de Francfort-sur-l’Oder.