Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3927

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 174-175).

3927. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Au château de Tournay, 18 septembre.

Monsieur, j’ai reçu le Panégyrique de Pierre le Grand, que Votre Excellence a eu la bonté de m’envoyer. Il est bien juste qu’un homme de votre Académie chante les louanges de cet empereur. C’est par la même raison que les hommes sont obligés de chanter les louanges de Dieu, car il faut bien louer celui qui nous a formés. Il y a certainement de l’éloquence dans ce panégyrique. Je vois que votre nation se distinguera bientôt par les lettres comme par les armes ; mais ce sera principalement à vous, monsieur, qu’elle en aura l’obligation. Je vous ai celle d’avoir reçu de vous des Mémoires plus instructifs qu’un panégyrique ; ce qui n’est qu’un éloge ne sert souvent qu’à faire valoir l’esprit de l’auteur. Le titre seul avertit le lecteur d’être en garde ; il n’y a que les vérités de l’histoire qui puissent forcer l’esprit à croire et à admirer. Le plus beau panégyrique de Pierre le Grand, à mon avis, est son journal, dans lequel on le voit toujours cultiver les arts de la paix au milieu de la guerre, et parcourir ses États en législateur, tandis qu’il les défendait en héros contre Charles XII. J’attends toujours vos nouveaux Mémoires avec l’empressement du zèle que vous m’avez inspiré. Je me flatte que j’aurai autant de secours pour les événements qui suivent la bataille de Pultava que j’en ai eu pour ceux qui la précèdent. Ce sera une grande consolation pour moi de pouvoir achever ma carrière par cet ouvrage. Ma vieillesse et ma mauvaise santé me font connaître que je n’ai pas de temps à perdre ; mais ce n’est pas le plus grand motif de mon empressement. Je suis impatient, monsieur, de répondre, si je le puis, à la confiance que vous avez bien voulu me témoigner, et de satisfaire votre goût autant que je suivrai vos instructions.

Voici, monsieur, un moment bien glorieux pour votre auguste impératrice et pour la Russie. C’est la destinée de Pierre le Grand et de sa digne fille de rétablir la maison de Saxe dans ses États.