Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3958

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 205-206).

3958. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Au château de Touruay, Ier novembre.

Monsieur, une indisposition me prive de l’honneur de vous écrire de ma main. Mes marchés avec vous ne sont pas si bons que je m’en flattais, puisque ce n’est pas vous qui daignerez traduire la tragédie que vous m’avez demandée ; vous l’auriez sûrement embellie. Nous l’avons jouée trois fois sur mon petit théâtre de Tournay ; nous avons fait pleurer tous les Allobroges et tous les Suisses du pays ; mais nous savons bien que ce n’est pas une raison pour plaire à des Italiens. Ce qui pourrait me donner quelque espérance, c’est que nous avons tiré des larmes des plus beaux yeux qui soient à présent dans les Alpes ; ces yeux sont ceux de madame l’ambassadrice de France à Turin. Elle a passé quelques jours chez moi avec monsieur l’ambassadeur ; et tous deux m’ont rassuré contre la crainte où j’étais de vous envoyer un ouvrage fait en si peu de temps ; ce ne sera qu’avec une extrême défiance de moi-même que je prendrai cette liberté. Mon théâtre se prosterne très-humblement devant le vôtre. Nous savons ce que nous devons à nos maîtres.

J’ai reçu la Mort de César, traduite par M.  Paradisi[1]. J’admire toujours la fécondité et la flexibilité de votre langue, dans laquelle on peut tout traduire heureusement ; il n’en est pas ainsi de la nôtre. Votre langue est la fille aînée de la latine. Au reste, j’attends vos ordres, monsieur, pour savoir comment je vous adresserai le paquet. J’attends quelque chose de mieux que vos ordres, c’est l’ouvrage que vous avez bien voulu me promettre.

  1. Augustin Paradisi, né aux environs de Reggio en 1736. Il traduisit aussi Tancrède en italien.