Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 4001

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Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 259).

4001. — À M.  THIERIOT.
15 décembre.

Vous ne vous plaindrez pas cette fois-ci, mon cher et ancien ami, que j’épargne les ports de lettres. J’ai peur qu’il ne soit ridicule de parler de comédie dans le temps qu’il n’est question que de culs noirs, de bourses vides, de flottes dispersées, et de malheurs en tout genre sur terre et sur mer. L’espérance de la paix est dans le fond de la boîte de Pandore ; mais, pendant que tout l’État souffre, il se trouve toujours des gredins qui impriment, des oisifs qui lisent, et des Frérons qui mordent. Je vous prie de m’envoyer, par M.  Bouret ou par quelque autre contresigneur, la Femme qui a raison, et la malsemaine dans laquelle Fréron répand son venin de crapaud.

On m’a envoyé la magnifique édition de l’Écclésiaste[1] : elle est imprimée au Louvre, avec mon portrait à la tête ; mais il y a beaucoup de fautes, et le texte manque au bas des pages. Il en paraîtra une belle édition approuvée par le pape. Il faut apprendre à de petits esprits insolents, qui abusent de leurs places, à quel point on doit les mépriser[2], et à quel point on peut les confondre. On reviendrait à Paris leur marquer tout le dédain qu’on leur doit, si on n’aimait pas mieux être chez soi libre et tranquille.


Sed nil dulcius est bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Respicere unde queas alios, passimque videre
Errare, atque viam palantes quærere vitæ.

(Lucr., lib. II.)
  1. C’était sans doute la Pompadour qui avait fait imprimer cette édition. (Cl.)
  2. Ceci s’adressait à Omer Joly de Fleury et à l’abbé Terrai, sur le rapport duquel le parlement ordonna que l’on brûlât le Précis dit Cantique des cantiques.. Voyez la Lettre qui précède ce Précis, tome IX.