Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4107

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 367-368).

4107. — À M.  WATELET[1].
Aux Délices, 25 avril.

Je ne sais, monsieur, si c’est par un amateur que vous m’avez fait parvenir le beau présent[2] dont j’ai l’honneur de vous remercier, mais cet amateur ne s’appelle pas il far presto. Je n’ai reçu que depuis trois jours ce poëme instructif, ces leçons de maître données en prose avec modestie, ces belles estampes dessinées de votre main, qui ajoutent un nouveau mérite à l’ouvrage, et qui en font un des plus précieux monuments des beaux-arts.

Je ne sais pourquoi il y avait tant de grands peintres dans le seizième siècle, et que nous en avons aujourd’hui si peu. J’imagine que les manufactures de glaces, les magots de la Chine et les tabatières de cent louis d’or ont nui à la peinture.

Puisse votre ouvrage, monsieur, former autant de bons artistes qu’il vous attirera de louanges ! Je voudrais trouver quelque Claude Lorrain qui peignît ce que je vois de mes fenêtres : c’est un vallon terminé en face par la ville de Genève, qui s’élève en amphithéâtre. Le Rhône sort en cascade de la ville pour se joindre à la rivière d’Arve, qui descend à gauche entre les Alpes ; au delà de l’Arve est encore à gauche une autre rivière, et au delà de cette rivière, quatre lieues de paysage. À droite est le lac de Genève ; au delà du lac, les prairies de Savoie ; tout l’horizon, terminé par des collines qui vont se joindre à des montagnes couvertes de glaces éternelles, éloignées de vingt-cinq lieues, et tout le territoire de Genève semé de maisons de plaisance et de jardins. Je n’ai vu nulle part une telle situation ; je doute que celle de Constantinople soit aussi agréable.

Si M.  Huber[3] voulait s’amuser à peindre ce beau site, j’en ferais encore plus de cas que de ma découpure en robe de chambre.

J’ai l’honneur d’être, avec bien de la reconnaissance et l’estime la plus respectueuse, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. L’Art de peindre, poëme, 1760.
  3. Dessinateur et naturaliste de Genève, célèbre par ses découpures.