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Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4121

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 387-388).

4121. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
14 mai.

Que vous avez raison, jeune et belle princesse,
D’aller en Amérique étaler vos appas !
À vous rendre justice en Europe on s’empresse ;
Mais parmi tant de sang, de pleurs et d’attentats,
L’Europe, abandonnée au démon des combats,
Aux meurtres, au pillage, à la fraude traîtresse.
Même en vous admirant, ne vous méritait pas.


Madame, ce petit compliment est pour celle qui a daigné honorer et embellir le rôle d’Alzire. Mais que ne dois-je point à son auguste mère ! Je lui jure que si j’avais eu un peu de santé, j’aurais fait le voyage, j’aurais été le témoin des talents du prince et de la princesse. Les raisonneurs, les politiques, auraient dit ce qu’ils auraient voulu, j’aurais contenté le plus cher de mes désirs, de venir me mettre encore aux pieds de Votre Altesse sérénissime.

J’ai usé de la permission qu’elle m’a donnée ; j’ai fait partir un petit ballot pour Mme la comtesse de Bassevitz, et je l’ai adressé à Gotha directement à Votre Altesse sérénissime, afin que le respect pour votre nom le fît arriver en sûreté.

Je profite encore des mêmes bontés pour vous supplier, madame, de vouloir bien honorer de votre protection la lettre incluse.

Je crois mon commerce fini avec le chevalier Pertriset[2]. J’ai pris la liberté de lui dire tout ce que j’avais sur le cœur ; mon âge, mon ancienne liberté, les malheurs auxquels il s’expose, m’ont autorisé et m’ont peut-être conduit trop loin. Il ne tenait certainement qu’à lui de s’arranger très-bien avec son oncle ; mais il aime mieux plaider. Je suis sûr que Mlle Pertriset en est fâchée.

Je ne sais rien, madame, des nouvelles publiques. Je plante, je bâtis ; je ne me mêle point des affaires des princes ; mais il y a une princesse aux pieds de laquelle je voudrais être.


Le Suisse V.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Frédéric II.