Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4208

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 485-487).

4208. — DE PIRON À BACULARD D’ARNAUD[1].
Ce vendredi, l’après-dinée.

Voici, monsieur, l’épigramme que vous me demandez. J’ai bien eu de la peine à la retrouver dans mes fouillis, et j’ai vu le moment où j’en désespérais. Elle est en dialogue entre deux Normands, dont l’un racontait à l’autre et lui donnait pour certain un fait absurde et tout à fait incroyable. C’est un dizain en vers de sept syllabes, et dont la précision fait tout le mérite, pour peu qu’il y en ait.

le Premier.

Fable ! à d’autres ! Tu veux rire.

le second.

Non parbleu ! foi de chrétien,
Vrai comme je suis de Vire.

le premier.

En jurerais-tu ?

le second.

Très-bien.

le premier.

Encor, n’en croirai-je rien
Qu’un louis il ne m’en coûte :
Le voilà. Gageons.

le second.

Écoute,
Je te l’avouerai tout bas :
J’en jurerais bien sans doute ;
Mais je ne gagerais pas.

Vous voyez bien que le bon mot est de vieille date, d’autant plus qu’il n’est pas de moi, et que ceux dont je le tenais le tenaient d’autres, et de même en remontant jusqu’où on voudra. Mais que fera cette épigramme à Voltaire. 1° Ce n’est pas d’aujourd’hui que le geai brille sous les plumes du paon. Il en est paré de la tête à la queue. En deuxième lieu, les trois quarts et demi de ceux qui la verront la croiront faite depuis l’Écossaise, qui, de son côté, n’est pas plus à lui que le bon mot.

Il ne tiendrait qu’à vous-même, si vous ne vous y connaissiez pas mieux qu’un autre, ; de croire que je l’ai faite de ce matin ; mais outre que vous savez ma franchise, et que vous vous fiez, je crois, à ce que je vous en dis, vous devez sentir les difficultés vaincues, et que ça n’a pas été un éternument. Quant aux autres épigrammes dont vous me parlez, je vous avouerai que j’en ai éternué trois en riant ; une au sortir de l’Écossaise, où j’appris que celui qui y est offensé s’était contenté de dire : « N’y a-t-il pas bien de l’esprit à dire de quelqu’un qu’il est un fripon ? » Je ne fus pas content de cette retenue. Il me sembla qu’il aurait dû et pu mieux ou plus dire ; sur quoi j’écrivis au dos d’une carte :

Ce jour, sur la scène française
Le pauvre diable de Fréron,
Dans la pièce de l’Écossaise
S’entendant traiter de fripon,
Dit : « Peut-être oui, peut-être non ;
Messieurs, restez sur le peut-être.
Mais le trait n’est pas d’un grand maître,
Surtout pour un qui s’y connaît :
Car il faut plus d’esprit pour l’être
Que pour dire que quelqu’un l’est. »

Je n’offense pas là un des deux : il ne s’agit que du plus ou moins d’esprit, et le hic est que Voltaire en ait ici le moins. L’épigramme suivante répond à ce qu’il a dit de moi dans la Vanité, en se servant de ma juste humilité pour m’humilier.


      En deux mois voulez-vous connaître
      Le rimeur dijonais et le parisien ?
Le premier ne fut rien, ni ne voulu rien être ;
L’autre voulut tout être, et ne fut presque rien.

autre.

On nous a bien dit, que Voltaire
Ne fut jamais qu’un plagiaire.
Admirez le tour du larron :
Le trait même dont il égorge,
Ou prétend égorger Piron,
Il le lui vole dans sa forge.


Êtes-vous content, monsieur ? En voilà plus que vous n’en demandez ; plus peut-être que je ne vous en devais dire, mais moins mille fois qu’il ne m’en reste à penser. Voilà une vilaine et scandaleuse guerre allumée. Si les puissances belligérantes étaient de mon humeur, il n’y aurait qu’à rire, et qu’à bien rire même. La matière est belle de part et d’autre ; mais au lieu de se chatouiller, c’est à qui s’enfoncera les plus gros coups de pied dans le ventre. Ne paraît-il pas encore une lettre à Pompignan plus ridicule que son mémoire présenté au roi ? et une héroïde où Palissot est nommé vil opprobre ? Et puis vantons-nous d’être de beaux esprits !

  1. L’Amateur d’autographes, année 1868, page 49.