Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4232

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Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 516).
4232. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
17 auguste.

Mon divin ange, il faut que notre ami Fréron soit en colère, car il ne peut être plaisant. Je viens de voir le récit de la bataille[1] où il a été si bien étrillé. Le pauvre homme est si blessé qu’il ne peut rire. Si vous pouvez, mon cher ange, nous rendre le premier acte tel qu’il est imprimé, vous ferez plaisir aux érudits, qui aiment qu’on ne retranche rien d’une traduction d’un ouvrage anglais. Il parait que la petite guerre littéraire n’est pas prête à finir. Tant qu’il y aura des regardants, il y aura des combattants, et il n’y aura que la lassitude du public qui fera tomber les armes des mains.

Je crois que Jérôme Carré, le Frère de la Doctrine chrétienne, et Catherine Vadé et consorts, ont rendu un très-grand service à une certaine partie de la nation qui n’est pas peu de chose. Si on avait laissé dire et faire les Pompignan, les Palissot, les Fréron, et même les maître Joly de Fleury, les philosophes auraient passé pour une troupe des gens sans honneur et sans raison. J’ai écrit une singulière lettre au roi Stanislas, en le remerciant du livre que frère Menoux a mis sous son nom ; je l’enverrai à mon ange.

Venons au fait de Tancrède. Je crois qu’il faut bénir la Providence de ce qu’elle a permis que M.  le duc de Choiseul n’ait pas regardé ce secret comme un secret d’État. Le spectacle en sera si frappant, la situation si neuve, le cinquième acte (j’entends les deux dernières scènes) si touchant, Mlle  Clairon si supérieure, que vous en viendrez à votre honneur malgré Fréron.

Ici l’auteur s’embarrasse, parce qu’il a un peu de fièvre ; ce n’est pas Fréron qui la lui donne. Il va faire mettre sur un papier séparé de petites annotations pour la Chevalerie.

  1. C’est le n° 4202.