Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4325

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Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 55-56).

4325. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
7 novembre.

Monsieur, on a fait, en deux mois, trois éditions du premier volume de l’Histoire de Russie. Les ennemis de votre empire n’en sont pas trop contents ; ils sont un peu fâchés qu’on leur fasse voir votre grandeur, et surtout votre mérite. Cependant amis et ennemis demandent le second volume avec empressement, et je suis réduit à dire que les matériaux me manquent pour élever la seconde aile de votre édifice. Il n’est pas possible d’y travailler sans avoir des notions justes, non-seulement de ce que Pierre le Grand a fait dans ses États, mais aussi de ce qu’il a fait avec les autres États, de ses négociations avec Görz et le cardinal Albéroni, avec la Pologne, avec la Porte ottomane, etc. Il serait aussi bien nécessaire d’avoir quelques éclaircissements sur la catastrophe du czarowitz. Je vous dirai, en passant, qu’il est certain qu’il y a une femme qu’on a prise, dans quelques provinces de l’Europe, pour la veuve du czarowitz même ; c’est celle dont j’ai eu l’honneur de vous envoyer la petite histoire[1]. Elle n’est pas digne d’être mise à côté des faux Démétrius.

Je reviens, monsieur, aux deux sujets de mes afflictions, qui sont d’ignorer si Votre Excellence a reçu mes ballots, et de ne recevoir aucunes instructions.

Je vous répète que je n’ai point entendu parler du gentilhomme[2] qui est à Vienne, et que vous avez bien voulu charger de quelques paquets. Je ne peux finir cette lettre sans vous dire combien votre nation a acquis d’honneur par la capitulation de Berlin. On dit que vous avez donné l’exemple de la plus exacte discipline, qu’il n’y a eu ni meurtre ni pillage. Le peuple de Pierre le Grand eut autrefois besoin de modèle, et aujourd’hui il en sert aux autres.

Adieu, monsieur ; employez votre secrétaire, et recevez le sincère et tendre respect de V.

  1. Voyez plus haut la lettre 4264. — Quand la dame d’Auban mourut dans le village de Vitry, à une lieue de Paris, en février 1771, on consigna dans son acte de décès qu’elle s’appelait, non pas Charlotte de Brunswick-Wolfenbutlel, mais Marie-Élisabeth Damelson. (Cl.)
  2. Pouschkin.