Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4447

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 189-190).

4447. — À M. LE BRUN.
2 février.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous écrire encore au sujet de Mlle Corneille ; vous ne laisserez point votre bonne œuvre imparfaite, et, après l’avoir sauvée de la pauvreté, vous la sauverez du déshonneur. J’écris à M. Dumolard en conformité[1].

Vous avez dû recevoir le certificat de Mme Denis ; voici celui du résident de France. J’ai eu l’honneur de vous envoyer la procuration du sieur L’Écluse du Tilloy, pour se joindre à la plainte de M. Corneille. Le sieur L’Écluse n’est point celui qui a monté sur le théâtre de la Foire[2], je le crois son cousin ; il est seigneur de la terre du Tilloy en Gâtinais[3].

Je vous réitère, monsieur, qu’il ne s’agit que d’une procuration de M. Corneille ; que l’affaire ne fera nulle difficulté ; que Fréron sera condamné à une peine infamante et à de gros dédommagements. Je suis bien sûr que vous saisirez une occasion aussi favorable, et que M. d’Argental vous aidera de tout son pouvoir. Ce n’est point au parlement qu’il faut s’adresser, comme je le croyais, mais au lieutenant criminel, dont le nommé Fréron est naturellement le gibier.

Je vous réitère encore, monsieur, que j’ai été indispensablement obligé d’envoyer un petit avertissement[4], pour faire savoir que votre libraire a eu tort de mettre l’édition de vos lettres et des miennes sous le nom de Genève. C’est une chose très-importante pour moi ; il ne faut pas qu’on croie dans le public que je fasse imprimer à Genève aucune brochure. En effet, on n’en imprime aucune dans cette ville, dont je suis éloigné de deux lieues, et il est nécessaire qu’on le sache : vous en sentez toutes les conséquences.

Je vous ai rendu, monsieur, toute la justice que je vous dois dans cet avertissement, et je me suis livré à tout ce que mon goût et mon cœur m’ont dicté. Je confie à votre amitié et à votre prudence la copie de la lettre que j’écrivis à votre sujet[5]. Soyez persuadé, monsieur, que je vous suis attaché comme le père de Mlle Corneille doit vous l’être.

Je présente mes respects à Mme Le Brun.


Voltaire.
  1. La lettre à Dumolard est perdue.
  2. Voltaire dissimulait ici la vérité, dans l’intention d’empêcher Fréron de nuire à Marie Corneille. (Cl.)
  3. La seigneurie du Tilloy, possédée par L’Écluse, qui débuta à l’Opéra-Comique en 1737 ; elle est située près de Montargis, dans le Gâtinais Orléanais.
  4. Voyez tome XXIV, page 159.
  5. Cette lettre est perdue, si ce n’est celle à Dumolard, n° 4417.