Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4593

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 344).

4593. — À M.  LE BRUN.
Au château de Ferney, par Genève, 28 juin.

Si vous faites justice, monsieur, de l’âne[1] qui étourdit à force de braire, n’oubliez pas l’âne qui rue ; vous vengerez sans doute le sang du grand Corneille de l’insolence calomnieuse avec laquelle il a voulu flétrir son éducation. Ce sera le sujet d’une feuille, et ce sujet, manié par vous d’une manière intéressante, peut rendre ce malheureux exécrable à ceux qui le protègent. Il n’a en effet que trop de protecteurs, et c’est assez qu’il soit méchant pour qu’il en ait. Il faut espérer qu’en faisant connaître ses infamies comme ses ridicules, vous lui ôterez le peu de vogue qu’il avait, et qui déshonorait la nation.

J’ose espérer que cette nation sera assez touchée de la véritable gloire, pour contribuer à l’édition du grand Corneille, et à l’avantage des seuls héritiers de son nom. C’est vous, monsieur, qui avez le premier ouvert cette carrière ; vous en avez l’honneur. Je ne doute pas que le nom de Conti et de La Marche ne se trouve à la tête de l’entreprise. S’il arrivait que cette idée ne réussît point, j’avoue qu’il faudrait compter la France pour la dernière des nations ; mais je veux écarter une crainte si honteuse, et je veux croire que le grand Corneille a appris à mes compatriotes à penser noblement.

Je vous supplie de vouloir bien toujours m’écrire sous un contre-seing, attendu la multiplicité des lettres que Corneille et Fréron exigeront.

Mille respects à toute la maison du Tillet. Je crois qu’on y approuvera mon entreprise.


Voltaire.
  1. Le Brun publiait l’Ane littéraire : voyez la lettre 4453.