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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4644

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 402-404).

4644. — À M. DUCLOS.
18 auguste.

J’ai toujours oublié, monsieur, de vous parler de la personne qui prétendait vous apporter des papiers de ma part. Je n’ai eu l’honneur de vous en adresser que par M. d’Argental. Vous avez dû recevoir l’épitre dédicatoire à la compagnie, la préface sur le Cid, les notes sur le Cid, les Horaces et Cinna. Je vous prie de communiquer le tout à M. le duc de Nivernais et à M. le président Hénault ; mais il serait plus convenable encore que le tout fût examiné à l’Académie ; vos observations feraient ma loi. Les autres pièces suivront immédiatement, et les Cramer commenceront à imprimer sans aucun délai.

Les souscriptions que nous avons suffiront pour entamer l’entreprise, en cas que nous puissions compter sur le payement des quatre cents louis que le roi daigne accorder. Nous comptons même être en état de prier les gens de lettres qui ne sont pas riches de vouloir bien accepter un exemplaire comme un hommage que nous devons à leurs lumières, sans recevoir d’eux un payement qui ne doit être fait que par ceux que la fortune met en état de favoriser les arts. Il me paraît qu’une condition essentielle pour cet ouvrage, assez important et dédié à l’Académie, est que les noms des académiciens se trouvent dans la liste des souscripteurs.

M. le duc de Nivernais a commencé par souscrire pour 
 12 exemplaires.
M. le cardinal de Bernis 
 12 —
M. le duc de Richelieu 
 12 —
M. le duc de Villars 
 6 —
M. le comte de Clermont 
 6 —
M. le président Hénault 
 2 —

Je prends la liberté, en qualité d’entrepreneur de cette affaire, et de père de Mlle Corneille, de souscrire pour cent. Ce n’est point par vanité, c’est par nécessité, parce que, si l’on se sert de grand papier, et s’il y a huit volumes, comme le prétendent MM. Cramer, les frais iront à cinquante mille livres.

J’avais écrit à monsieur le coadjuteur[1], en le remerciant de la bonté qu’il a eue de m’envoyer son discours, et à M. Watelet[2], connu par son goût pour les arts, et par ses talents : je n’en ai point eu de réponse. Je vous avouerai qu’il serait honteux pour l’Académie, dont tant de grands seigneurs sont membres, que des fermiers généraux fissent plus qu’elle en cette occasion : cela jetterait même sur notre compagnie un ridicule dont les Frérons n’abuseraient que trop. M. l’archevêque de Lyon[3] souscrira comme le cardinal de Bernis ; mais pour imprimer son nom dans la liste, il convient qu’il soit appuyé de celui du coadjuteur de Strasbourg, et du précepteur de M. le duc de Bourgogne[4]. C’est ce que vous pouvez proposer, monsieur, avec plus de bienséance que personne, dans la place où vous êtes.

Sera-t-il dit que nos grands seigneurs ne viendront à l’Académie que le jour de leur réception, qu’ils se contenteront de faire un discours, et qu’ils dédaigneront d’entrer dans un dessein honorable pour l’Académie et pour la France ? Je compte sur vous, monsieur, comme sur le protecteur le plus vif de cette entreprise digne de vous. Je vous prie de m’éclairer et de me soutenir dans toutes les difficultés attachées à tout ce qui est nouveau et estimable.

Je prévois que MM. Cramer persisteront dans la résolution de donner l’édition in-4° tome à tome, de trois en trois mois, sans aucunes estampes, et que l’ouvrage, qui coûterait au moins trois louis d’or chez les libraires, n’en coûtera que deux. Il y aurait une très-grande perte sans les bontés du roi et de plusieurs princes de l’Europe, sans la générosité de M. le duc de Choiseul et de Mme de Pompadour.

Ce ne sont point proprement des souscriptions qu’on demande ; il n’y a point de conditions à faire avec ceux qui donnent leur temps, leur argent, et leur travail, pour l’honneur de la nation. Nous ne demandons que le nom de quiconque voudra avoir un livre utile à bon marché, afin que les libraires proportionnent le nombre des exemplaires au nombre des demandeurs, et que ceux qui auront eu la bassesse de craindre de donner deux louis pour s’instruire ne puissent jamais avoir un livre qu’ils seraient indignes de posséder. Pardon de ma noble colère.

Je compte absolument sur vous, au nom de Pierre et de Marie Corneille.

  1. Louis-René-Édouard de Rohan, coadjuteur de Strasbourbg, reçu le 11 Juin 1761 ; né en 1734, mort en 1803. La lettre est perdue. (B.)
  2. Cette lettre manque aussi.
  3. Montazet.
  4. Coëtlosquet.