Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4671

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 438-439).

4671. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
14 septembre.

Dès que je sus que mes anges avaient fait consulter M. Tronchin, je fus un peu alarmé. J’écrivis ; voici sa réponse : elle est bonne à montrer au docteur Fournier ; il n’en sera pas mécontent. Que mes anges ne soient pas surpris de l’étrange adresse. Viro immortali veut dire qu’on vit longtemps quand on suit ses conseils, et Deo immortali est une allusion à l’inscription que j’ai mise sur le fronton de mon église : deo erexit Voltaire. Ma prière est Vivat d’Argental.

Vous êtes bien bon d’envoyer votre billet aux Cramer. Ont-ils besoin de votre billet ?

Et moi, bien bon d’avoir cru M. le comte de Choiseul ministre d’État, quand vous ne m’en disiez rien. Je m’en réjouissais ; je ne veux plus rien croire, si cela n’est pas vrai.

Si Mlle  Gaussin a encore un visage. Acanthe[1] est fort bien entre ses mains, et tout est fort bien distribué. M. Picardet sera fort bien joué. Que dites-vous de la préface du sieur Picardet ? ne l’enverrez-vous pas à frère Damilaville ? Il a un excellent sermon[2] qu’il montrera à mes anges pour les réjouir. M. de La Marche a été d’une humeur charmante ; il n’y paraît plus. C’est, de plus, une belle âme ; c’est dommage qu’il ait certains petits préjugés de bonne femme.

Daignez, mes anges, envoyer l’incluse au secrétaire perpétuel, après l’avoir lue. Zarukma ! quel nom ! d’où vient-il ? Le père de Zarukma n’est-il pas M. Cordier[3] ? Il est vrai que Zarukma ne rime pas à sifflet, mais il peut les attirer. Zulime au moins est plus doux à l’oreille. Nous nous mîmes quatre à lire Zulime à M. de La Marche. Il avait un président[4] avec lui qui dormit pendant toute la pièce, comme s’il avait été au sermon ou à l’audience ; ainsi il ne critiqua point. M. de La Marche fut ému, attendri, pleura ; et quand Mme  Denis s’écria en pleurant : J’en suis indigne, il n’y put pas tenir. Je fus touché aussi ; je dis : Zulime consolera Clairon de Zarukma.

Je vous avais dit que j’étais content de M. de Montmartel. Point ; j’en suis mécontent : il ne veut pas avancer trois cents louis. Le contrôleur général propose des effets royaux, des feuilles de chêne ; nous aurons du bruit.

La paix ! il n’y aura point de paix. C’est un labyrinthe dont on ne peut se tirer. Ah ! pauvres Français ! réjouissez-vous, car vous n’avez pas le sens d’une oie.

Divins anges, je baise le bout de vos ailes.

  1. Personnage du Droit du Seigneur ; voyez tome VI, page 6.
  2. Sans doute le Sermon des Cinquante.
  3. Voyez page 423.
  4. Le président de Ruffey.