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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4703

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 471-472).

4703. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
Ferney, 8 octobre.

Mon cher oracle de Thémis et des Muses, votre lettre du 27 septembre m’a fait un plaisir presque aussi vif que votre apparition à Ferney ou à Voltaire[2], Oui, sans doute, j’irai à la Marche, je verrai votre labyrinthe, et je voudrais ne point trouver de fil pour en sortir.

Comptez que c’est un bienfait essentiel de permettre que votre graveur travaille pour notre Corneille. Il n’y a point d’artiste à Genève dans ce genre-là. On est obligé de dépendre des graveurs de Paris, qui sont surchargés d’ouvrage. Je mourrais de vieillesse et de dépit avant qu’ils eussent fini. Permettez donc que votre protégé nous aide de dix estampes[3], et surtout ne l’empêchez pas de recevoir des Cramer un petit honoraire. C’est une affaire d’environ cinquante louis : il n’est pas possible d’en user autrement, je vous conjure de le souffrir.

Je renvoie, comme vous l’ordonnez, tous ses dessins, dont je suis très-content, avec un petit mot de remerciement et d’instruction pour lui[4].

Je vous avoue que, dans ces ornements, je demande célérité plutôt que perfection ; je n’ai jamais trop aimé les estampes dans les livres ; que m’importe une taille-douce quand je lis le second livre de Virgile, et quel burin ajoutera quelque chose à la description de la ruine de Troie ? Mais les souscripteurs aiment ces pompons, et il faut les contenter.

Je plains votre jeune homme s’il est obligé de lire les pièces dont il gravera le sujet. Cinna et les belles scènes du Cid, de Pompée, d’Horace et de Polyeucte, sont au-dessus de toute gravure, et les autres pièces n’en méritent pas. Les premiers sujets sont déjà distribués. Il est triste, j’en conviens, de travailler sur Agésilas et sur Attila ; mais je vous en aurai plus d’obligation, et je regarderai votre condescendance comme une de vos plus grandes bontés.

J’aurais bien voulu vous montrer quelques-uns de mes commentaires. L’entreprise est épineuse ; il faut avoir raison sur trente-deux pièces. Je consulte l’Académie, mais cela ne me suffit pas ; je suis le contraire des commentateurs, je me défie toujours de mes jugements. Qu’il serait agréable de relire Corneille dans votre beau château, avec vous et quelque adepte ! Le commentaire serait le résultat de nos conférences. Mille tendres respects. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Allusion à cette plaisanterie de Marot à François 1er :

    Car depuis peu j’ai basti à Clément
    et à Marot, qui est un peu plus loing.

  3. Voltaire en indique douze dans sa lettre à de Vosge (n° 4925). Il parle également de douze dans les lettres ci-après.
  4. Probablement la lettre 4925 qui, dans l’édition de Beuchot, est faussement datée de juin. — L’autographe en fait foi. (Th. F.)