Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4753

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 530-531).

4753. — À M. DE COURTEILLES[1],
conseiller d’état.
À Ferney, 18 novembre.

Monsieur, si M. le président de Brosses est roi de France, ou au moins de la Bourgogne cisjurane, je suis prêt à lui prêter serment de fidélité. Il n’a voulu recevoir ni d’un huissier ni de personne l’arrêt du conseil à lui envoyé, par lequel il devait présenter au conseil du roi les raisons qu’il prétend avoir pour s’emparer de la justice de la Perrière, qui appartient à Sa Majesté[2].

Il me persécute d’ailleurs pour cette bagatelle[3], comme s’il s’agissait d’une province. Vous en jugerez, monsieur, par la lettre ci-jointe[4] que j’ai été forcé de lui écrire, et dont j’ai envoyé copie à Dijon à tous ses confrères, qui lèvent les épaules.

Au reste, monsieur, je ferai tout ce que vous voudrez bien me prescrire, et je vous obéirais avec plaisir quand même je serais roi de la Bourgogne cisjurane, ainsi que M. le président de Brosses. J’ose imaginer, monsieur, que le roi peut à toute force conserver la justice de la Perrière, malgré la déclaration de guerre de monsieur le président.

J’ai l’honneur d’être avec beaucoup de respect, monsieur, votre très-humble, etc.

  1. Barberie de Courteilles, gendre du président Fyot de La Marche.
  2. Une lettre du président de Brosses à Voltaire, tardivement retrouvée, rétablit dans son vrai jour sa manière d’agir au sujet de cette interminable contestation de la Perrière. Voici cette nouvelle lettre, qui est de mai 1760.

    « On m’a envoyé de Paris, monsieur, des extraits de pièces et mémoires que vous avez envoyés au conseil pour établir que l’endroit de la Perrière où s’est commis le délit de Panchaud est de la justice et juridiction de Genève, non de celle de Tournay, et que la république ayant cédé ce droit au roi, par le traité du mois d’août 1749, ce n’est ni au seigneur de Tournay, ni à monseigneur le comte de La Marche, seigneur engagiste de Gex, à faire les frais de la procédure, mais au roi lui-même.

    « Je souhaite fort que cet article de frais, dont l’honneur n’est nullement désirable, puisse regarder Sa Majesté. J’ai fait ce que j’ai pu pour faire entrer dans cette idée monsieur le procureur général, qui, de son côté, avait bonne envie d’y être ; et j’ai eu l’honneur de vous envoyer la note de ce que j’avais d’enseignements là-dessus, qui n’étaient pas trop favorables. Je désire de tout mon cœur que vous en ayez trouvé qui le soient davantage.

    « Pour moi, je n’ai jamais rien ouï dire de pareil. Je n’ai pas su que la republique de Genève ait jamais prétendu ni exercé aucune juridiction sur ce canton, qui est du territoire de la France, mais au contraire qu’elle y a été exercée par le juge de Tournay.

    « Mais comme, d’une part, je souhaite de tout mon cœur que vous puissiez être déchargé de cette épave désagréable, et que, d’autre part, il ne serait pas naturel que je me misse moi-même de la partie contre les droits de ma terre, je resterai neutre sur ceci, sauf à revenir un jour à dire mes raisons, si elles sont bonnes, dans un temps où vos intérêts ne seront pas compromis. » (Note de M. Th. Foisset.)

  3. C’est-à-dire à cause de cette bagatelle, en haine de mon bon droit en cette bagatelle. (Note de Voltaire.)
  4. La lettre du 20 octobre 1761.