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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4756

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 535-536).

4756. — À M. DE TRUDAINES[1].
Ferney, par Genève, 20 novembre 1761.

Monsieur, en attendant que nos syndics aient l’honneur de vous envoyer notre mémoire en forme, permettez que je vous supplie de lire la lettre que j’écris à M. Bouret, mon ami, frère de M. d’Hévigny, notre ennemi.

Il est avéré, monsieur, que ce sont deux ou trois regrattiers qui, craignant de perdre leurs emplois, soulèvent quelques fermiers généraux contre votre arrangement et contre vos ordres. Je peux vous assurer, monsieur, qu’il n’y a pas un mot de vrai dans le mémoire de M. d’Hévigny, adressé à monsieur le contrôleur général, sinon que tous nos paysans font et feront toujours la contrebande du sel et du tabac. Trois cents gardes ne l’empêcheraient pas, attendu que toutes les femmes qui vont à Genève mettent du sel et du tabac dans leur chemise, et qu’il n’y a pas encore de loi qui ordonne expressément de trousser les femmes dans les bureaux des fermes.

C’est donc pour prévenir cette contrebande, c’est pour épargner aux fermiers généraux des frais immenses et inutiles, et, en même temps, pour favoriser notre petit pays, que vous avez, monsieur, ordonné très-sagement le sel forcé, sur les représentations mêmes des fermiers généraux.

Vous verrez, monsieur, en jetant un coup d’œil sur ma lettre à M. Bouret, quels prétextes frivoles on emploie pour désavouer vos volontés.

Je suis persuadé que, indépendamment de votre autorité, vous pourrez aisément faire entendre raison à M. Bouret d’Hévigny. Il verra qu’on l’a trompé, et il se rendra à vos raisons.

J’ignore, monsieur, si c’est vous ou monsieur votre fils qui traitez cette affaire. Je présente mon respect et ma requête à l’un et à l’autre.

Je crois que c’est ici une affaire de conciliation ; l’objet n’est presque rien pour les fermes du roi, et est pour nous d’une extrême importance. Je sens bien que nous sommes perdus si les fermiers généraux s’obstinent à vouloir se tromper ; mais si vous daignez nous protéger et parler, nous sommes sauvés.

J’ai l’honneur d’être avec beaucoup de respect et d’attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

  1. Éditeur, G. Avenel ; Nouveau Supplément.