Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4777

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 552-553).

4777. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
17 décembre.

Ils diront, ces anges : « Il n’y a pas de patience d’ange qui puisse y tenir ; nous avons là un dévot insupportable. » Renvoyez-moi donc votre exemplaire, et prenez celui-là. Je ne sais plus qu’y faire, mes tutélaires ; je suis à bout, excédé, rebuté sur l’ouvrage ; mais, croyez-moi, le succès est dans le fond du sujet. S’il est intéressant, il ne peut pas l’être médiocrement ; s’il n’y a point d’intérêt, rien ne peut l’embellir.

La tête me fend ; et si Cassandre ne vous plaît pas, vous me fendez le cœur.

L’imagination n’a pas encore dit son dernier mot sur cette pièce ; la bonne femme est capricieuse, et ne répond jamais de ce qui lui passera par la tête. Si quelque embellissement se présente à elle, elle ne le manquera pas. Mes anges aiment Zulime, je ne saurais m’en fâcher contre eux ; mais assurément ils doivent aimer mieux Cassandre.

Mais que dirons-nous de notre philosophe de vingt-quatre ans[1] ? comment fera-t-il avec une personne dont il faudra finir l’éducation ? comment s’accommodera-t-il d’être mari, précepteur, et solitaire ? On se charge quelquefois de fardeaux difficiles à porter ; c’est son affaire : il aura Cornélie-Chiffon quand il voudra.

Nous venons de répéter le Droit du Seigneur : Cornélie-Chiffon jouera Colette comme si elle était élève de Mlle Dangeville.

Le petit Mémoire touchant l’ambassadeur prétendu de France[2] à la Porte russe est précisément ce qu’il me fallait ; je n’en demande pas davantage, et j’en remercie mes anges bien tendrement. Ils sont exacts, ils sont attentifs, ils veillent de loin sur leur créature. Je renvoie leur Mémoire ou apostille, ou combattu, ou victorieux, selon que mon humeur m’y a forcé.

Sur ce, je baise leurs ailes avec les plus saints transports.

  1. Colmont de Vaugrenant, fils du commissaire des guerres à Châlon-sur-Saône, se présentait pour épouser Mlle Corneille. Il est appelé Vaugrenant dans la lettre à d’Argental, du 16 décembre 1762 ; et Cormont, dans celles des 10 et 14 janvier 1763, cette dernière adressée au président de Ruffey.
  2. Voyez la lettre du 1 décembre, n° 4774, page 550.