Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7228

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7228. — À M. LE COMTE DE FÉKÉTÉ.
4 avril.

Monsieur, je n’ai pu répondre plus tôt ; soixante et quatorze ans de maladies et d’affaires en sont la cause. Mais puisque vous voulez de petites observations critiques, en voici :

Funeste lien dont naquit le parjure.

Lien est de deux syllabes ; il faut nœud : le vers sera de cinq pieds.

Fidèles sans aucune contrainte.

Le vers n’y est pas, il faut : toujours fidèles sans contrainte.

Et Rome de l’hymen sut resserrer le nœud,
Et Rome dEn paraissant l’enfreindre.

On enfreint une loi, on n’enfreint point un nœud ; on le dénoue, on le rompt, on le brise.

Désire-t-on ce que l’on peut ?

Il faudrait dire ce que l’on possède ; car on désire d’ordinaire toutes les choses auxquelles ont peut atteindre.

Est des mariés l’ordinaire reprise.

Le vers n’y est pas, mariés est de trois syllabes ; il faut époux.

Pour mieux connaître ses forfaits,
PoIl faut le voir sans voile.

Il manque une rime à voile.

Non un mariage politique.

Le vers n’y est pas. Mariage est ici de quatre syllabes, parce que ce mot est suivi d’une consonne ; cela est aisé à corriger en mettant hymen au lieu de mariage.

Depuis que la vertu s’exila de la terre.
Maudite du mari, son acariâtre humeur.

Acariâtre est de quatre syllabes, et serait de cinq si ce mot n’était pas suivi d’une voyelle ; le vers n’y est pas. On pourrait mettre sa fatigante humeur, ou son intraitable humeur.

L’on verra toujours le mariage.

Le vers n’y est pas ; mariage, en finissant le vers, est de trois syllabes.

Et contre lui j’exhale en vain ma rage.

Le mot de rage est trop fort ; on pourrait mettre :

En tous les temps le mariage
Sera tyran de l’univers,
Malgré les satires du sage.

L’envoi est fort joli ; mais le dernier vers qui finit par bénir ne rime point à satire, parce que l’on ne dit point bénire, mais bénir.

Voix ne rime point à toi, à cause de l’x, et parce que voix est long, et toi est bref ; on pourrait mettre :

Si le nœud de l’hymen me rangeait sous tes lois,
Si le nœJe serais loin de le maudire ;
Si le nœJe ferais entendre ma voix
Pour en faire l’éloge, et non pas la satire.

Vous ne pouvez faire de fautes, monsieur, que dans le mécanisme de notre langue et de notre poésie, qui est fort difficile. Vous n’en sauriez faire dans tout ce qui dépend du goût, du sentiment, et de la raison.

J’ai l’honneur d’être, avec l’estime la plus véritable et la plus respectueuse, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.