Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7271

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 52-53).
7271. — À MADAME D’ÉPINAI.
30 mai.

Ma chère et respectable philosophe, M. de Lalive m’apporte votre lettre du mois de mars 1767. Il a eu le temps de voir l’Italie, laquelle a rarement vu des Français aussi aimables que lui.

Je me recommande à vos bontés plus que jamais. La philosophie gagne par toute l’Europe ; mais quand elle parle haut, le fanatisme hurle plus haut encore. Ses cris sont furieux, et ses démarches secrètes sont encore plus affreuses. Les énergumènes soupirent après une seconde représentation de la tragédie du chevalier de La Barre. Ce sont là les spectacles qu’il faut à ces monstres. On est bien persuadé que vos amis détourneront les coups qu’on veut porter aux disciples de la raison, et qu’ils ne permettront jamais que de jeunes indiscrets nomment devant eux les personnes qu’on accuse bien injustement. Vous avez toujours pensé comme les frères rose-croix, qui faisaient leur séjour invisible dans ce monde ; vous vivez avec les sages ; vous fuyez les méchants et les sots, ils ne peuvent vous faire de mal, mais ils peuvent en faire beaucoup à un homme qui vous est tendrement attaché pour le reste de sa vie.

S’il y a quelque chose de nouveau, ma chère philosophe, sur cet article très-important, je vous supplie de me le mander. Le solitaire qui a l’honneur de vous écrire vous sera dévoué jusqu’à son dernier soupir avec l’attachement le plus respectueux et le plus tendre. V.