Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7340

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 124-125).
7340. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
À Ferney, 24 septembre 1768.

J’ai suivi votre conseil, mon très-cher président, j’ai écrit à M. Le Gouz[2] ; je l’ai supplié de porter M. de Brosses à un accommodement honorable, digne de sa place et digne de l’Académie dont il est membre. Je vous supplie donc d’envoyer à M. Le Gouz la copie de ma lettre écrite au président de Brosses[3], afin qu’il soit au fait. Vous et M. Le Gouz, vous frémiriez d’horreur si je vous informais du procédé que M. de Brosses a eu en dernier lieu. Promettez-moi le secret, et je vous dirai de quoi il s’agit.

Je n’ai d’autre intention que de tout souffrir pour tout pacifier. J’aime mieux être opprimé qu’oppresseur. Je sais perdre avec ceux qui veulent absolument gagner, et je ne prétends que prévenir un procès entre M. de Brosses et ma famille après ma mort. M. de Brosses a cru qu’ayant acheté une charge de président à mortier au parlement de Dijon, il pourrait écraser facilement ma famille. Il se trompe ; j’ai des neveux conseillers au parlement de Paris et au grand conseil[4], qui ont l’âme aussi noble que la sienne est intéressée, et qui se feront un devoir de mettre au jour des procédés dont j’ai bien voulu jusqu’à présent cacher la honte.

Pour moi, je veux mourir en paix. Il me menace de me persécuter : la chose est difficile, mais l’idée en est abominable, et c’est le comble de l’infamie. Ensevelissez dans l’oubli, mon cher ami, des choses aussi monstrueuses. Ce sera d’ailleurs une action digne de vous d’engager M. Le Gouz à faire rentrer, s’il se peut, M. e Brosses en lui-même, ou plutôt à le faire sortir un moment de lui-même. Je vous aurai obligation de la paix, et M. de Brosses vous aura une obligation encore plus grande. J’ai en vous, mon cher président, une confiance entière. J’attends tout de votre sagesse et de l’amitié dont vous m’honorez.

Je vous embrasse avec les plus respectueux sentiments et la plus tendre reconnaissance. V.

  1. Editeur. Th. Foisset.
  2. Cette lettre est perdue.
  3. Celle du 19 août 1768.
  4. Le conseiller au grand conseil était l’abbé Mignot, frère de Mme Denis et de Mme de Fontaine, et le conseiller au parlement M. de Dompierre d’Hornoy, fils de Mme de Fontaine, mort en janvier 1828.