Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7377
Je vous prie, mon cher ami, de me procurer ces trois volumes de Mélanges[1], où vous dites qu’on a inséré plusieurs balivernes de ma façon, comme tragédies médiocres, comédies de société, petits vers de société, qui ne sont jamais bons qu’aux yeux de ceux pour qui ils ont été faits. Si la folie de faire des vers est un peu épidémique, la rage de les imprimer est beaucoup plus grande. On dit qu’on a mêlé à ces fadaises des ouvrages licencieux de plusieurs auteurs. Je suis comme les gens de mauvaise compagnie, qui sont fâchés de se trouver en mauvaise compagnie. Faites-moi venir, je vous prie, par vos correspondants de Hollande, deux exemplaires de ce recueil intitulé, dit-on Nouveaux Mélanges. Je veux en juger.
La faiblesse humaine est d’apprendre
Ce qu’on ne voudrait pas savoir[2].
Il y a tantôt cinquante ans qu’on se plaît à mettre sous mon nom beaucoup de sottises qui, jointes avec les miennes, composent en papier bleu une bibliothèque très-considérable ; mais la calomnie y mêle quelquefois des ouvrages sérieux qui font bien de la peine. Ces impostures sont d’autant plus désagréables qu’on ne peut guère les repousser ; on ne sait d’où elles partent ; on se bat contre des fantômes. J’ai beau me mettre en colère comme Ragotin[3], et jurer que cela n’est pas de moi, et que cela est détestable, on me répond que mon style est très-reconnaissable ; et voilà comme on juge. La condition d’un homme de lettres ressemble à celle de l’âne du public : chacun le charge à sa volonté, et il faut que le pauvre animal porte tout.
Mettez-moi au fait, je vous prie, de ce recueil de Nouveaux Mélanges ; je vous serai très-obligé. J’attends ce service de votre amitié.
- ↑ Les tomes ou parties V, VI et VII des Nouveaux Mélanges portent la date de 1768. Le premier de ces trois volumes contient des morceaux qui ne sont pas de Voltaire.
- ↑ Dans l’Amphitryon de Molière, acte II, scène iii, il y a :
La faiblesse humaine est d’avoir
La curiosité d’apprendre
Ce qu’on ne voudrait pas savoir - ↑ Personnage du Roman comique.