Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7445

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 222-223).
7445. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.
À Ferney, 5 janvier.

Vous êtes bien bon, monsieur, de parler de microscope à un pauvre vieillard qui a presque perdu la vue. Il y a longtemps que je suis accoutumé à voir grossir des objets fort minces. La sottise, la calomnie, et la renommée, leur très-humble servante, grossissent tout. On avait fort grossi les fautes du comte de Lally et les indécences du chevalier de La Barre ; il leur en a coûté la vie. On a grossi les panégyriques de gens qui ne méritaient pas qu’on parlât d’eux. On voit tout avec des verres qui diminuent ou qui augmentent les objets, et presque rien avec les lunettes de la vérité.

Il n’en sera pas ainsi sans doute du livre de M. l’abbé Régley, que vous estimez. Je me flatte qu’il n’aura pas vu du jus de mouton produire des anguilles qui accouchent sur-le-champ d’autres anguilles.

J’attends son livre avec d’autant plus d’impatience que je viens d’en lire un à peu près sur le même sujet. En me le donnant, ayez la bonté, monsieur, de me faire avoir les Découvertes microscopiques, et je vous enverrai les Singularités de la nature[1].

Cette nature est bien plus singulière dans nos Alpes qu’ailleurs : c’est tout un autre monde. Le vôtre est plus brillant. Je remercie le digne petit-fils du grand Condé de daigner se souvenir de moi du sein de sa gloire. Je me mets à ses pieds avec la plus respectueuse reconnaissance, et je vous demande instamment la continuation de vos bontés.

  1. Tome XXVII, page 125.