Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7449

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 226-228).
7449. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
6 janvier.

Madame, voilà encore un thème ; j’écris donc. Par une lettre d’un mercredi, c’est-à-dire il y a huit jours, vous me demandez le commencement de l’Alphabet[1] ; mais savez-vous bien qu’ill sera brûlé, et peut-être l’auteur aussi ? Le traducteur est un La Bastide de Chiniac, avocat de son métier. Il sera brûlé, vous dis-je, comme Chausson[2].

C’est avec une peine extrême que je fais venir ces abominations de Hollande. Vous voulez que je fasse un gros paquet à votre petite mère ou grand’mère ; vous ne dites point si elle paye des ports de lettres, et s’il faut adresser le paquet sous l’enveloppe de son mari, qui ne sera point du tout content de l’ouvrage.

L’A, B, C est trop l’éloge du gouvernement anglais. On sait combien je hais la liberté, et que je suis incapable d’en avoir fait le fondement des droits des hommes ; mais si j’envoie cet ouvrage, on pourra m’en croire l’auteur ; il ne faut qu’un mot pour me perdre.

Voyez, madame, si on peut s’adresser directement à votre petite mère ; et, si elle répond qu’il n’y a nul danger, alors on vous en dépêchera tant que vous voudrez.

Je puis vous faire tenir directement par la poste de Lyon, à très-peu de frais. les Droits des uns et les Usurpations des autres[3], l’Épître aux Romains[4].

Si vous n’avez pas l’Examen important[5] de milord Bolingbroke, on vous le fera tenir par votre grand’mère[6].

On n’a pas un seul exemplaire du Supplément[7], elle le demande comme vous. Il faut qu’elle fasse écrire par Corby à Marc-Michel Rey, libraire d’Amsterdam, et qu’il lui ordonne d’en envoyer deux par la poste.

Vous me parlez d’un buste, madame ; comment avez-vous pu penser que je fusse assez impertinent pour me faire dresser un buste ? Cela est bon pour Jean-Jacques, qui imprime ingénument que l’Europe lui doit une statue[8].



Pour les deux Siècles, dont l’un est celui du goût et l’autre celui du dégoût, le libraire a eu ordre de vous les présenter, et doit s’être acquitté de son devoir. Mme de Luxembourg y verra[9] une belle réponse du maréchal de Luxembourg quand ou l’interrogea à la Bastille. C’est une anecdote dont elle est sans doute instruite.

Le procès de cet infortuné Lally est quelque chose de bien extraordinaire ; mais vous n’aimez l’histoire que très-médiocrement. Vous ne vous souciez pas de La Bourdonnais, enfermé trois ans à la Bastille pour avoir pris Madras ; mais vous souciez-vous des cabales affreuses qu’on fait contre le mari de votre grand’mère ? Je l’aimerai, je le respecterai, je le vanterai, fût-il traité comme La Bourdonnais. Il a une grande âme, avec beaucoup d’esprit. S’il lui arrive le moindre malheur, je le mettrai aux nues. Je n’y mets pas tout le monde, il s’en faut beaucoup.

Adieu, madame : quand vous me donnerez des thèmes, je vous dirai toujours ce que j’ai sur le cœur. Comptez que ce cœur est plein de vous.

    débuté le 19 décembre 1768 par le rôle d’Aménaïde dans Tancrède. Elle est morte le 6 octobre 1804.

  1. L’A, B, C : voyez tome XXVII, page 311.
  2. Voyez la note de Voltaire, tome IX page 519.
  3. Tome XXVII, page 193.
  4. Tome XXVII, page 83.
  5. Tome XXVI, page 195.
  6. Mme de Choiseul, qui est aussi désignée plus haut sous le nom de petite mère.
  7. Je ne vois pas quel peut être l’ouvrage dont parle ici Voltaire. Le Supplément du Discours aux Welches est de 1764 voyez tome XXV, page 249) ; le Supplément aux causes célèbres voyez tome XXVIII, page 77) n’est, je crois, que de juillet 1769, ou, tout au plus, de juin. (B.)
  8. Dans sa lettre intitulée J.-J. Rousseau à Christophe de Beaumont.
  9. Tome XIV, page 459.