Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7531

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7531. — À CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
À Ferney, … avril.

Madame, un jeune homme des premières familles de Genève, qui, à la vérité, a près de six pieds de haut, mais qui n’est âgé que de seize ans, assistant chez moi à la lecture de l’instruction que Votre Majesté impériale a donnée pour la rédaction de ses lois, s’écria : « Mon Dieu, que je voudrais être Russe ! » Je lui dis en présence de sa mère : « Il ne tient qu’à vous de l’être ; Pictet, qui est plus grand que vous, l’est bien ; vous êtes plus sage et plus aimable que lui. Madame votre mère veut vous envoyer dans une université d’Allemagne apprendre l’allemand et le droit public : au lieu d’aller en Allemagne, allez à Riga : vous apprendrez à la fois l’allemand et le russe ; et à l’égard du droit public, il n’y en a certainement point de plus beau que celui de l’impératrice. »

Je proposai la chose à sa mère, et je n’eus pas de peine à l’y faire consentir. Ce jeune homme s’appelle Galatin ; il est de la plus aimable et de la plus belle figure ; sa mémoire est prodigieuse ; son esprit est digne de sa mémoire, et il a toute la modestie convenable à ses talents. Si Votre Majesté daigne le protéger, il partira incessamment pour Riga, après avoir commencé à suivre votre exemple en se faisant inoculer. Je suis fâché de n’offrir à Voire Majesté qu’un sujet ; mais je réponds bien que celui-là en vaudra plusieurs autres.

Oserai-je prendre la liberté de demander à Votre Majesté à qui il faudra que je l’adresse à Riga ? Sa mère ne peut payer pour lui qu’une pension modique. J’ose me flatter qu’il n’aura pas été un an à Riga sans être en état de venir saluer Votre Majesté en russe et en allemand. Qu’est devenu le temps où je n’avais que soixante ans ? Je l’aurais accompagné.

Si Votre Majesté va s’établir à Constantinople, comme je l’espère, il apprendra bien vite le grec : car il faut absolument chasser d’Europe la langue turque, ainsi que tous ceux qui la parlent. Enfin, madame, au nom de toutes vos bontés pour moi, j’ose vous implorer pour le jeune Galatin, et je puis répondre qu’il méritera toute votre protection.

J’attends les ordres de Votre Majesté impériale.

  1. Publiée, pour la première fois, par MM. de Cayrol et François.