Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7537

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 318-319).
7537. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.
À Ferney, le 24 avril.

Je n’ai jamais prétendu, monsieur, qu’on dût jamais s’offenser d’être comparé à Jean-Baptiste Colbert[1]. J’ai écrit seulement qu’un ministre de la guerre et de la paix n’avait pas plus de rapport à un contrôleur général qu’avec un archevêque de Paris. Je vous avoue même que je ne souhaiterais point du tout que M. le duc de Choiseul eût le contrôle général : il fricasserait tout en deux ans ; tout l’argent irait en gratifications, pensions, bienfaits, magnificences. Un contrôleur général doit avoir la main et le cœur un peu serrés. M. le duc de Choiseul a des vices tout contraires à cette vertu nécessaire. Il ne se corrigerait jamais de son humeur généreuse et bienfaisante. Quand milord Bolingbroke fut fait secrétaire d’État, les filles de Londres, qui faisaient alors la bonne compagnie, se disaient l’une à l’autre : « Betty, Bolingbroke est ministre ! Huit mille guinées de rente ; tout pour nous. »

À propos de générosité, je prends la liberté de demander à monseigneur le prince de Condé le congé d’un soldat de sa légion. J’ai fait un peu les honneurs de ma chaumière à cette légion romaine. J’en rappellerais le souvenir à M. le comte de Maillé s’il était à Paris. J’explique toutes mes raisons à Son Altesse sérénissime ; mais ces raisons seront bien moins fortes qu’un mot de votre bouche, et je vous supplie d’avoir la bonté de dire ce mot à un prince qui ne se fait pas prier quand il s’agit de faire des heureux.

Agréez, monsieur, les respectueux sentiments du vieux malade de Ferney.

  1. M. de Voltaire avait désapprouvé que, dans des vers adressés à M. le duc de Choiseul, M. le comte du La Touraille eut comparé ce ministre à Colbert. (K.) Voyez la lettre 7518.