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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7576

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 359-361).
7576. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
À Lyon, 24 juin.

Vous ne doutez pas, monsieur, du plaisir que m’a fait votre lettre. Vous savez combien je vous suis attaché, à vous, monsieur, et à Mme Dixhuitans[1]. L’amitié d’un pauvre vieillard malade et solitaire est bien peu de chose ; mais enfin vous daignez y être sensible.

J’écris quelquefois à Mme Finette[2], et rarement à l’abbé Bigot[3] ; mais je suis assurément un de leurs plus zélés serviteurs.

Je crois que l’abbé Bigot, qui n’est point du tout bigot, réussira en tout, et c’est un de mes plus grands plaisirs ; on aime d’ailleurs à voir ses prédictions accomplies, et son goût approuvé du public.

Je ne sais trop comment finira l’affaire du prélat[4], dont je vous ai tant parlé, et qui m’a forcé à des démarches qui ont paru très-extraordinaires, et qui pourtant étaient fort raisonnables. J’ai rendu compte de tout au marquis[5] ; il m’a paru qu’il n’approuvait pas la conduite de ce prêtre, et qu’il était fort content de la mienne. Mais je voudrais être bien sûr de ses sentiments pour moi. Je vous aurais une très-grande obligation de lui parler, de lui faire valoir un peu la décence avec laquelle je me suis conduit envers un homme qui n’en a point ; de lui peindre la vie honnête que je mène, et de l’assurer surtout de mon dévouement pour sa personne. Ayez la bonté de me mander ce qu’il aura dit ; vous ne pouvez me rendre un meilleur office.

Vous ne vous écarterez sûrement pas de la vérité quand vous lui direz que mon ami[6] est un brouillon, reconnu pour tel lorsqu’il était à Paris, détesté et méprisé dans la province. C’est un homme qui a le cœur aussi dur que les pierres que son grand-père, le maçon, a employées autrefois dans le château que j’habite. Je rends toutes ses fureurs inutiles par la discrétion et par la bienséance que je mets dans mes paroles et dans mes démarches. En un mot, réchauffez pour moi le marquis, je vous en supplie.

Je suis extrêmement content de mon frère l’abbé. Pour ma cousine[7], je n’ai aucune relation avec elle. Peut-être qu’un jour M. Anjoran[8] serait en état de l’engager à me rendre un petit service, mais rien ne presse ; je voudrais seulement savoir si son esprit se forme, si elle s’intéresse véritablement à M. Le Prieur[9]. Je compte toujours sur M. Anjoran ; mais il est bon que de temps en temps on le fasse souvenir qu’il me doit quelque amitié.

Comment êtes-vous avec votre Peste[10] ? Ne prenez-vous pas quelques mesures pour vous en dépêtrer, pour vous mettre entièrement entre les mains de l’abbé Bigot ? Rien ne presse sur aucun de ces articles.

Ne vous donnez la peine de me répondre que quand vous n’aurez rien à faire du tout. Il n’est pas juste que mes plaisirs vous gênent. Vous devez être très-occupé : vos devoirs demandent un homme tout entier.

Conservez-moi une place dans votre cœur, et soyez bien sûr que le mien est à vous pour le temps que j’ai encore à vivre.

J’oubliais de vous parler des Tenans et de M. d’Ermide[11]. Ils doivent être de vos amis, car ils ont beaucoup d’esprit et le cœur noble[12].

  1. Mme de Rochefort.
  2. La duchesse de Choiseul.
  3. Le duc de Choiseul.
  4. Biord, évêque d’Annecy.
  5. M. de Choiseul.
  6. L’évêque d’Annecy.
  7. Mme Du Barry.
  8. Richelieu.
  9. Louis XV.
  10. Le duc de Villeroi, capitaine des gardes.
  11. Le prince de Beauvau.
  12. Dans quelques éditions on trouve ici la deuxième des Lettres à l’abbé Faucher, que nous avons placée dans les Mélanges ; voyez tome XXVII, page 434.