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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7598

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7598. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 19 juillet.

Ce n’est point aujourd’hui à monsieur le doyen de notre Académie, c’est au premier gentilhomme de la chambre que je présente ma requête. Je vous jure, monseigneur, que la musique de Pandore est charmante, et que ce spectacle ferait le plus bel effet du monde aux yeux et aux oreilles. Il n’y avait certainement qu’un grand opéra qui pût réussir dans la salle du Manège, où vous donnâtes une si belle fête aux noces de la première dauphine ; mais la voûte était si haute que les acteurs paraissaient des pygmées ; on ne pouvait les entendre. Le contraste d’une musique bruyante avec un récit qui était entièrement perdu faisait l’effet des orgues qui font retentir une église quand le prêtre dit la messe à voix basse.

Il faut, pour des fêtes qui attirent une grande multitude, un bruit qui ne cesse point, et un spectacle qui plaise continuellement aux yeux. Vous trouverez tous ces avantages dans la Pandore de M. de La Borde, et vous aurez de plus une musique infiniment agréable, qui réunit, à mon gré, le brillant de l’italien et le noble du français.

Je vous en parle assurément en homme très-désintéressé, car je suis aveugle tout l’hiver, et presque sourd le long de l’année. Je ne suis pas homme d’ailleurs à demander un billet pour assister à la fête ; je ne vous parle qu’en bon citoyen qui ne songe qu’au plaisir des autres.

De plus, il me semble que l’opéra de Pandore est convenable aux mariages de tous les princes[1], car vous m’avouerez que partout, il y a de grands malheurs ou de grands chagrins mêlés de cent mille petits désagréments. Pandore apporte l’amour et l’espérance, qui sont les consolations de ce monde et le baume de la vie. Vous me direz peut-être que ce n’est pas à moi à me mêler de vos plaisirs, que je ne suis qu’un pauvre laboureur occupé de mes moissons, de mes vers à soie, et de mes abeilles ; mais je me souviens encore du temps passé, et, si je ne peux plus donner de plaisir, je suis enchanté qu’on en ait.

Mme de Fontaine-Martel, en mourant, ayant demandé quelle heure il était, ajouta : « Dieu soit béni ! quelque heure qu’il soit, il y a un rendez-vous. »

Pour moi, je n’emporterai que le regret d’avoir traîné les dernières années de ma vie sans vous faire ma cour ; mais je vous suis attaché comme si je vous la faisais tous les jours.

Agréez le tendre respect de V.

  1. Vovez une note de la lettre 7616.