Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7615

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 399-400).
7615. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
29 juillet 1769.

Nos lettres se sont croisées, mais nous voici en règle. Je n’aurai pas de peine à faire ce que vous désirez. Une seconde lecture des Guèbres, faite par un bon lecteur, m’a fait remarquer des beautés qui m’étaient échappées. Je voudrais que mon suffrage eût plus de poids ; mais tel qu’il est, vous y pouvez compter. Je dois cependant vous dire ce que je pense : jamais on ne permettra la représentation de cette pièce, avant que les changements qu’elle a pour but ne soient arrivés ; ils arriveront un jour, mais vous êtes comme Moïse, vous voyez la terre promise et vous n’y entrerez pas ; elle sera pour nos neveux ; contentez-vous de la sortie d’Égypte.

Toute réflexion faite, je crois qu’il est plus avantageux que cette pièce soit lue que représentée : elle aurait du succès sans doute, mais elle élèverait de grandes clameurs et animerait furieusement les adversaires ; mais ce qui est de plus certain, c’est qu’aucun magistrat ni aucun ministre n’oserait en autoriser la représentation ; il faut se contenter de ce qu’on en tolère l’impression.

Ce serait pour moi un grand plaisir de me retrouver avec vous. Si j’avais exécuté le projet que j’eus, il y a quinze ans, de m’établir en province, je vous aurais rendu des visites ; mais aujourd’hui je suis trop vieille pour songer à changer de place. Je resterai dans ma cellule, lisant vos ouvrages. vous écrivant quelquefois, et vous aimant jusqu’à mon dernier moment.

  1. Correspondance complète, édition Lescure ; 1865.