Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7624
J’aimerais encore mieux, mon cher ami, une bonne tragédie et une bonne comédie que des éloges de Racine et de Molière[1] ; mais enfin il est toujours bon de rendre justice à qui il appartient.
Il me paraît qu’on a rendu justice à l’arlequinade substituée à la dernière scène de l’inimitable tragédie d’Iphigènie[2]. Il y avait beaucoup de témérité de mettre le récit d’Ulysse en action. Je ne sais pas quel est le profane qui a osé toucher ainsi aux choses saintes.
Comment ne s’est-on pas aperçu que le spectacle d’Éryphile se sacrifiant elle-même ne pouvait faire aucun effet, par la raison qu’Éryphile, n’étant qu’un personnage épisodique et un peu odieux, ne pouvait intéresser ? Il ne faut jamais tuer sur le théâtre que des gens que l’on aime passionnément.
Je m’intéresse plus à l’auteur des Guèbres qu’à celui de la nouvelle scène d’Iphigénie. C’est un jeune homme qui mérite d’être encouragé ; il n’a que de bons sentiments, il veut inspirer la tolérance ; c’est toujours bien fait : il pourra y réussir dans cinquante ou soixante ans. En attendant, je crois que les honnêtes gens doivent le tolérer lui-même, sans quoi il serait exposé à la fureur des jansénistes, qui n’ont d’indulgence pour personne. Tous les philosophes devraient bien élever leur voix en faveur des Guèbres. J’ai vu cette pièce imprimée, dans le pays étranger, sous le nom de la Tolérance ; mais on est bien tiède aujourd’hui à Paris sur l’intérêt public ; on va à l’Opéra-Comique le jour qu’on brûle le chevalier de La Barre, et qu’on coupe la tête à Lally. Ah ! Parisiens, Parisiens ! vous ne savez que danser autour des cadavres de vos frères. Mon cher ami, vous n’êtes pas Welche.
- ↑ L’Académie avait proposé en 1768, pour sujet du prix d’éloquence, l’Éloge de Molière. Le prix fut remporté par Chamfort, en 1769 voyez lettre 7679). Ce ne fut qu’en 1771 que L’Académie proposa l’Éloge de Racine, pour sujet du prix qui fut remporté par La Harpe, en 1772. (B.)
- ↑ On avait parlé chez la duchesse de Villeroi de mettre en action et en spectacle le récit du cinquième acte. Saint-Foix prétendit qu’il n’y avait que quelques vers à changer, et se chargea de la besogne. La représentation avait eu lieu le 31 juillet sur le Théâtre-Français : mais l’exécution fut confuse : raison de plus pour que le public manifestât sa désapprobation.