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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7645

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7645. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 29 août 1769.

Ah ! monsieur de Voltaire, il me prend un désir auquel je ne puis resister, c’est de vous demander, à mains jointes, de faire un éloge, un discours (comme vous voudrez l’appeler, dans la tournure que vous voudrez lui donner) sur notre Molière. L’on me lut hier l’écrit qui a remporté le prix à l’Académie ; on l’approuve, on le loue fort injustement à mon avis. Je n’entends rien à la critique raisonnée ; ainsi je n’entrerai point en détail sur ce qui m’a choquée et déplu ; je vous dirai seulement que le style académique m’est en horreur, que je trouve absurdes toutes les dissertations, tous les préceptes que nous donnent nos beaux esprits d’aujourd’hui sur le goût et sur les talents, comme si l’on pouvait suppléer au génie. Je prêcherai votre tolérance, je vous le promets, je m’y engage, si vous m’accordez d’être intolérant sur le faux goût, et sur le faux bel esprit qui établit aujourd’hui sa tyrannie ; donnez un moment de relâche à votre zèle sur l’objet où vous avez eu tant de succès, et arrêtez le progrès de l’erreur dans l’objet qui m’intéresse bien davantage.

J’ai enfin lu l’Histoire des Parlements ; il se peut bien que le second volume ne soit pas de la même main que le premier ; mais, mon cher ami. je vois avec plaisir que vous pouvez avoir un successeur ; ce jeune auteur ne vous fera point oublier ; tout au contraire, vous avez fait en lui un disciple qui fera souvenir de vous.

Votre correspondance avec la grand’maman me charme ; avouez qu’elle a de l’esprit comme un ange. Si je n’étais pas exempte de toute prétention, je ne vous écrirais plus, sachant que vous recevez de ses lettres ; mais je ne prétends qu’à un seul mérite auprès de vous, c’est de vous admirer et aimer plus que qui que ce soit.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.