Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7710
Je suis devenu plus paresseux que jamais, monsieur, parce que je suis devenu plus faible et plus misérable. Il m’aurait été impossible de faire le voyage de Paris : je peux à peine faire celui de mon jardin. Mme Denis a rapporté une belle lunette, mais il faut avoir des yeux. On perd tout petit à petit, excepté les sentiments qui m’attachent à vous et à Mme de Rochefort.
Je voudrais bien avoir des compliments à vous faire sur l’accomplissement des promesses qu’on vous a faites. C’est là ce qui m’intéresse véritablement : car, en vérité, j’ai beaucoup d’indifférence pour tout le reste. J’espère que M. le duc de Choiseul fera les choses que vous désirez. C’est la plus belle âme que je connaisse ; il est généreux comme Aboul-Cassem, brillant comme le chevalier de Grammont, et travailleur comme M. de Louvois. Il aime à faire plaisir ; vous serez trop heureux d’être son obligé.
Je compte qu’au printemps vous serez un père de famille. Mme de Rochefort accouchera d’un brave philosophe ; il en faut de cette espèce.
Je voudrais bien vous envoyer une nouvelle édition d’une pièce[1] qui commence ainsi :
Je suis las de servir. Souffrirons-nous, mon frère,
Cet avilissement du grade militaire ?
mais je ne sais comment m’y prendre. Il est beaucoup plus aisé d’envoyer des lunettes que des livres.
L’oncle et la nièce disent tout ce qu’ils peuvent de plus tendre à M. et à Mme de Rochefort.
- ↑ La tragédie des Guèbres ; voyez tome VI. page 505.